Stéphanie Dufresne – Environnement – décembre 2021
La récente sortie publique de la Coalition citoyenne Terre précieuse a remis sous les projecteurs le projet d’expansion d’un parc industriel de la Ville de Trois-Rivières, situé au carrefour des autoroutes 40 et 55.
La proposition, qui entraînerait la destruction de 26 hectares de milieux humides, n’avait pas reçu l’aval du conseil municipal au mois d’août dernier. La Coalition citoyenne appréhende toutefois que ce dossier ne soit rouvert prochainement puisque le zonage et la planification n’ont pas changé.
L’expression « milieu humide » fait référence aux étangs, marais, marécages et tourbières, qui sont des espaces influencés par la présence d’eau. Ce sont des écosystèmes fragiles qui, dans certains cas, ont pris des centaines, voire des milliers d’années à se former.
Une infrastructure naturelle
Il est bien connu que les milieux humides sont importants pour la biodiversité. Mais leur présence agit également comme une infrastructure naturelle qui intervient dans la gestion de l’eau en ville, explique Emmanuelle Beaumier, géographe membre du Groupe de recherche interuniversitaire en limnologie (GRIL). « Par exemple, ils réduisent la fréquence des inondations urbaines comme celles qu’on connaît régulièrement sur le boulevard des Récollets. Ils sont aussi importants pour les réserves d’eau potable puisqu’ils rechargent la nappe phréatique. »
Les fonctions hydrologiques normalement remplies par ces milieux naturels doivent être remplacées par des ouvrages de gestion de l’eau, peut-on lire dans la Politique environnementale de la Ville de Trois-Rivières. Des ouvrages qui sont « coûteux à construire et à entretenir. »
Puits de carbone
Tout comme les forêts, les tourbières et les autres milieux humides absorbent le dioxyde de carbone (CO2) de l’air, ce qui en fait des « puits de carbone » efficaces pour lutter contre les changements climatiques. À titre d’exemple, les tourbières du Québec stockent à elles seules 11 gigatonnes de carbone. Cette quantité correspond à 500 fois plus que les émissions annuelles de CO2 au Québec, selon les estimations de Jérôme Dupras, professeur titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique. Lorsque ces milieux sont détruits, le CO2 est relâché dans l’atmosphère.
Pour cette raison, la coalition citoyenne demande que la Ville de Trois-Rivières commande une étude pour estimer la quantité de carbone qui serait libéré par la destruction de ces 26 hectares de milieux humides. Elle souhaite aussi que soit calculée la quantité de carbone qui ne pourra plus être captée annuellement en leur absence.
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Une valeur économique
En plus de réguler les débits d’eau et le climat, les milieux humides ont d’autres bénéfices : ils captent les sédiments et les polluants, offrent une source de matériaux (bois, tourbe, etc.) et servent à des activités de loisirs.
La contribution à l’activité économique de tous les « biens et services écosystémiques » que procurent les milieux naturels aux communautés est chiffrable. C’est ainsi qu’une étude, détaillée dans l’ouvrage Nature et Économie, a estimé la valeur des services écosystémiques fournis par les milieux humides du Bassin versant de la rivière Bécancour entre 3 143 $ et 10 049 $ par hectare par année. Des résultats similaires ont été obtenus pour le bassin versant de la rivière Yamaska.
… et morale
Charles Fontaine, membre du groupe de recherche en éthique environnementale et animale (GREEA) considère que la destruction de ce milieu humide soulève également des enjeux moraux. « On parle de nuire à des espèces qui sont en danger comme la salamandre à quatre orteils, et d’endommager considérablement des écosystèmes qui ont une importance capitale pour le bon fonctionnement de la planète, déclare-t-il. « On est à l’ère des changements climatiques, des COP25, COP26… on sait qu’il y a une urgence d’agir et on regarde la parade passer ! »
Ce dernier déplore également le fait que la Ville « se donne bonne conscience » sur la base d’un certificat d’autorisation émis en 2014 alors que la réglementation était beaucoup plus permissive. « Ce n’est pas parce qu’une chose est légale que c’est forcément moral ou éthique », fait-il valoir.