Par Jean-Michel Landry, mai 2017
Un peu partout, le bénévolat devient objet de débat. Plusieurs y voient un apport précieux et constructif au fonctionnement de nos sociétés. D’autres, plus critiques, craignent que le travail accompli par les bénévoles facilite le désengagement de l’État dans des secteurs clés comme l’éducation et la santé.
Comment en effet ne pas s’inquiéter de la mise en place de programmes dits « clientèles » destinés aux organismes communautaires et bénévoles afin qu’ils assument des responsabilités qui relevaient auparavant des services publics? Et que penser du nombre croissant de transferts aux organismes communautaires de demandes de service en raison, austérité oblige, de l’impossibilité des établissements et institutions publics d’y répondre dans des délais raisonnables? Pourquoi enfin payer pour réhabiliter nos écoles primaires si des citoyens se proposent de le faire gratuitement? En atténuant l’impact des réductions budgétaires dans les services publics, les bénévoles travailleraient-ils à rendre l’austérité socialement acceptable? Peut-être.
Toutefois, en réfléchissant en ces termes, on rate l’essentiel. Se porter bénévole, c’est beaucoup plus que refuser un salaire; c’est laisser entrevoir une autre manière d’être ensemble. C’est proposer de «faire circuler les choses» sans s’en remettre aux lois du marché (salaire, prix, profit) ni à toute autre considération mercantile. À l’esprit de compétition généralisé, les bénévoles opposent la force du lien social. Qui n’a pas noué un rapport de complicité, ou encore une amitié, lors d’une action bénévole? À l’importante quête des droits (droit de grève, droit d’association, droit au logement), ils associent la reconnaissance de nos devoirs civiques. Qui oserait croire qu’il ne doit rien à son voisin, son quartier ou sa collectivité?
Malheureusement, cette vision du bénévolat s’estompe au profit d’une autre plus conforme à l’air du temps. Bien souvent, on décrit l’action bénévole en termes comptables de coûts et de bénéfices. On dit qu’elle rapporte beaucoup sur le plan personnel; qu’elle sert l’intérêt de ceux et celles qui s’y adonnent. Tout ça est vrai. Le bénévolat nous « enrichit » individuellement, nul ne peut affirmer le contraire. Or, à force d’insister sur ce point, on perd de vue la force subversive du bénévolat. Car s’il est vrai que les deux millions de Québécoises et Québécois qui chaque année se portent bénévoles s’en trouvent intimement grandis, ensemble, ils desserrent l’emprise que le marché exerce sur notre usage du temps. Ils montrent que l’adage de Franklin « le temps, c’est de l’argent» s’avère une croyance et non une évidence. Ils nous rappellent que diviser nos vies entre travail salarié et loisir tient plus souvent du choix que de l’obligation. Entre les lieux de production et les lieux de consommation, les bénévoles occupent un espace où chacun met son intérêt personnel en veilleuse et s’applique à servir une cause qui les dépasse.
Cela étant, il serait illusoire de faire reposer l’action bénévole uniquement sur l’enthousiasme et la générosité individuelle. Alors qu’un nombre croissant de gens sont contraints de cumuler plus d’un emploi pour joindre les deux bouts, on ne peut parler de bénévolat sans s’interroger sur sa dimension économique. Et c’est ainsi qu’on revient à l’État. Si, comme le documente le réseau de l’action bénévole du Québec, le bénévolat contribue à la bonne santé individuelle et collective des Québécoises et Québécois, il se doit d’être accessible à tous ceux et celles qui ont à cœur le devenir de leur collectivité. À cet égard, la mise en place d’un revenu minimum garanti semble être une mesure propice à donner à tous la possibilité de s’engager librement et gratuitement dans les sphères d’activité (politique, artistique, sportive, etc.) qui répondent à leurs talents et à leurs aspirations.