
Isabelle Ayotte – Opinion – juillet 2021
Blâmer la victime (victim blaming), c’est tenir pour responsable la victime d’un crime ou d’un accident qu’elle a subi. C’est souvent involontaire et cela part parfois de bonnes intentions. Plusieurs croyances contribuent à blâmer les victimes d’actes criminels. Ces attitudes sont néfastes à la guérison des victimes.
Les croyances
Nous aimons penser qu’un événement grave ne nous arriverait pas. Nous nous croyons invulnérables. Nous nous mettons à la place de la victime et nous réfléchissons à ce que nous aurions fait différemment. Cela nous permet de croire que nous vivons dans un monde juste et sécuritaire. C’est plus facile à faire après coup.
Afin de se sentir en sécurité, nous cherchons ce qui, chez la victime, a pu faire en sorte qu’une telle situation se produise. Cela se nomme le biais d’attribution. C’est-à-dire attribuer une conséquence à une caractéristique personnelle. Elle n’aurait pas dû sortir le soir. Elle n’aurait pas dû fréquenter ce type. Il n’aurait pas dû prendre ce chemin. Tout comme pour se déresponsabiliser, certaines personnes mettent la faute sur des facteurs extérieurs à eux : « Tu vois ce que tu me fais faire? »; « Il avait juste à barrer son vélo. »; « Mon professeur fait des examens trop difficiles. »

Crédits : Gerd Altmann
La croyance au libre arbitre, qui est la faculté de choisir en toute liberté, est souvent corrélée avec la croyance que ce qui nous arrive nous est imputable. Que nous méritons ce qui nous arrive. Que de bonnes choses arrivent aux bonnes personnes et que de mauvaises choses arrivent aux personnes mauvaises. Si cette croyance tend à faire émettre des peines plus sévères aux criminels, elle fait également porter le blâme aux victimes. Peut-on vraiment parler de choix conscient lorsque nous ne contrôlons ni le futur ni les actes des autres?
L’inconcevable
La violence est si insupportable à reconnaître qu’on préfère discréditer la personne qui expose les faits. Pour en venir à accorder de la crédibilité aux victimes, il faut d’abord reconnaître que telle autre personne a pu avoir des comportements malsains. Ce réflexe de nier est un mécanisme de défense face à l’inconcevable. Cette attitude n’est pas supportante, elle culpabilise la victime, aggrave le traumatisme et accentue les sentiments d’isolement, d’impuissance et d’insécurité vécus par les victimes.
Responsabiliser les victimes, c’est déresponsabiliser les agresseurs. C’est les conforter dans leurs comportements malsains sans les amener à se remettre en question. Tandis que la parole des victimes est niée, la version des agresseurs est recherchée et entendue afin de comprendre, de raisonner ces événements traumatiques. La ligne est parfois trop mince entre expliquer un comportement et l’excuser.
La responsabilité des médias
La façon de présenter les événements en influence la réponse. Lorsqu’un événement est relaté, le public s’identifie au sujet.
Exemple 1 : M. s’est fait agresser dans une ruelle.
On s’identifie à M., on se dit : « Moi, je n’y serais pas allée dans cette ruelle ». Donc, cela amène la pensée que c’est la responsabilité de M. , que M. aurait pu faire quelque chose pour éviter la situation.
Exemple 2 : J. a abattu sa conjointe dans la ruelle.
On s’identifie au sujet ici aussi, mais on se dit qu’on ne ferait pas ça (enfin, j’espère que vous vous dites ça aussi, sinon vous pouvez appeler au (819) 693-5264 ou au 911). En mettant l’agresseur comme sujet actif, la victime est vue comme telle : une victime.
Cette approche est difficile à recevoir, car elle remet en question nos croyances de vivre dans un monde juste et sécuritaire et suggère que des événements hors de notre contrôle pourraient nous arriver.
Systémique, systématique, culturel
Ces croyances sont culturelles. Elles proviennent de notre éducation. En faisant porter la responsabilité à la personne, on ne cherche pas à éradiquer la source d’un problème sociétal. Ce n’est pas aux victimes de ne pas sortir tard le soir, c’est aux agresseurs de choisir des comportements différents, d’aller chercher de l’aide.
Comme le disait si bien la chroniqueuse de Ricochet Laurence Ricard, « La lueur d’espoir, c’est que lorsque l’on comprend que notre souffrance individuelle naît d’une dysfonction sociale, on n’est plus vraiment seuls.»[1]
Sources
https://www.theatlantic.com/science/archive/2016/10/the-psychology-of-victim-blaming/502661/
https://crcvc.ca/docs/victim_blaming.pdf
https://ricochet.media/fr/3455/chere-laurie-trentenaire-englue-et-amer
https://www.youtube.com/watch?v=sILOK_Qcn44&feature=emb_rel_end
https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jr/trauma/p2.html
https://www.inspq.qc.ca/agression-sexuelle/medias-et-agressions-sexuelles
https://www.edusex.ca/?fbclid=IwAR29HJIBtHythbgasx5BEREsthLaHDpd2cvM-luXSIDqYPZFL3rXIwfa0zI
https://www.verywellmind.com/why-do-people-blame-the-victim-2795911
[1] https://ricochet.media/fr/3455/chere-laurie-trentenaire-englue-et-amer