Le premier réflexe à surgir lorsqu’on est sauvagement attaqué en est un d’autodéfense, qui se mue rapidement en un désir de vengeance, de répondre coup pour coup, de faire payer œil pour œil, dent pour dent. Après les attentats de Paris, et ceux qui leur ont fait écho ailleurs dans le monde, l’Occident a machinalement intensifié ses bombardements contre le commanditaire de ces boucheries : l’État islamique. Pourtant, l’histoire récente démontre qu’en répliquant à la violence par la bouche de ses canons, on ne fait qu’envenimer les choses. Peut-on vaincre l’État islamique? Oui, mais avec quelles armes? Certainement pas les armes à feu.
Le 11 septembre 2001, les deux tours du World Trade Center s’écroulaient pour provoquer une véritable onde de choc dans la vie relativement paisible des Américains. À chaud, le gouvernement de Georges W. Bush criait vengeance et jurait d’avoir la peau d’Oussama Ben Laden. Dans les jours qui suivirent, des bottes militaires made in USA envahissaient l’Afghanistan afin « d’en finir avec le terrorisme ». Cette décision a-t-elle eu pour effet de rendre le monde davantage sécuritaire?
Selon une étude basée sur les statistiques du Département d’État américain, réalisée par le média indépendant Reader Supported News, le nombre d’actes terroristes perpétrés dans le monde a augmenté de…6500 % depuis 2001. Oui, 6500 %! Seulement en Irak, le nombre des attaques terroristes est passé de 208 en 2002 à 11 000 en 2005. Entre ces deux dates, 250 000 GI américains, parmi les 330 000 soldats de la Coalition internationale, sont débarqués manu militari au nord de la péninsule arabique. Objectifs : établir l’ordre et la démocratie en Irak et contrer le terrorisme.
Souffler sur les braises plutôt qu’éteindre le feu
Selon les services de renseignement britanniques, « la guerre en Irak est devenue une cause célèbre pour les djihadistes ». Elle est à la source d’une « nouvelle génération de dirigeants et d’agents terroristes ». Un « effet Irak », en somme, qui s’est répercuté partout au Moyen-Orient, puis jusque dans les rues de Paris le 13 novembre dernier.
Cerise sur le gâteau : quatre des cinq pays où 74 % des attaques terroristes mondiales ont été enregistrées depuis 2001 ont subi préalablement la médecine militaire américaine. Bilan net de cette escalade : entre 1,3 et 2 millions de morts, décompte qui exclut les victimes de drones américains en Somalie et au Yémen, les frappes aériennes en Lybie, et la mission actuelle en Syrie.
À la lumière de ces chiffres, peut-on encore prétendre que la « guerre » au terrorisme, dont se réclament François Hollande et Barack Obama, est une réussite? Est-il justifié de l’intensifier? Plutôt que de constituer une solution au problème du terrorisme, la « guerre » n’aurait-elle pas un effet d’incitatif pour le terrorisme? Force est d’admettre que les campagnes militaires occidentales au Moyen-Orient ont fertilisé un terreau où est né et où a grandi le groupe État islamique.
Pistes de réflexion
La solution au problème du terrorisme ne consiste certainement pas à s’attaquer au terrorisme lui-même, mais aux facteurs qui lui permettent de prospérer. Parmi ceux-ci : l’argent. Il est essentiel de tarir à la source les ressources financières des groupuscules terroristes et, pour y arriver, d’accentuer la pression diplomatique sur les pays qui financent ou encouragent l’État islamique. Comme l’écrivait déjà Cicéron au 1er siècle avant Jésus-Christ : l’argent est le nerf de la guerre.
L’État islamique enregistre des recettes annuelles de 500 millions $ à deux milliards $, qui proviennent, entre autres, de la vente du pétrole présent sur les territoires qu’il occupe. Mais qui achète ce pétrole? Principalement la Turquie et la Syrie. Pas directement l’administration d’Ankara ou de Damas, mais des organisations actives sur le terrain qui profitent de la passoire frontalière pour s’approprier l’or noir djihadiste par l’intermédiaire de passeurs plus ou moins clandestins ou de fonctionnaires corrompus. Colmater les trous exploités par ces réseaux de distribution priverait l’État islamique de revenus évalués à plusieurs dizaines de millions $…par mois.
Qui plus est, les États engagés dans la lutte au terrorisme se doivent impérativement de couper les ponts qui unissent les membres de l’OEI à l’Arabie Saoudite, car cette dernière sème aux quatre coins du monde, à coups de milliards $, une vision rigoriste de l’islam sunnite, dont s’inspire l’État islamique. Pendant que la pétromonarchie exacerbe les tensions sur le terrain, l’Occident paraphe, les yeux fermés et à l’encre de sang, de faramineux contrats d’armement avec le régime autoritaire saoudien.
En somme, « tout ce que nous savons de ce type de guerre [contre le terrorisme] menée depuis des décennies […] a conduit à l’échec. Il n’y a pas d’exemple aujourd’hui, Afghanistan, Irak, Libye, qui ne conduise pas à davantage de guerre et davantage de chaos. » Dixit Dominique de Villepin, ex-premier ministre de France.
Jean-Marc Lord
Directeur général
Comité de Solidarité/Trois-Rivières