Valérie Delage, mai 2015
Et si la souveraineté alimentaire passait par la reconnaissance de notre identité locale, de notre appartenance à un coin de pays? Tisser des liens serrés, reconstruire un savoir-vivre en harmonie avec son milieu, ne serait-ce pas un projet de société à l’image du Québec?
Johane Germain, une des initiatrices du convivium (« vivre ensemble ») Slow food Vallée de la Batiscan, travaille depuis plus de 10 ans à faire valoir un tel modèle de développement rural : « j’aimerais faire reconnaître ce paysage culturel et patrimonial comme “le pays de la Batiscan”. On ne peut plus juste travailler par découpage administratif ou par secteur d’activité, il faut repenser notre manière de voir le développement du territoire en fonction d’unités géographiques plutôt homogènes telles que les bassins versants, où l’on peut tisser des liens de l’amont à l’aval » croit-elle. Une vision de développement rural où les habitants peuvent gagner leur vie tout en respectant le caractère, l’âme du milieu.
Plutôt que d’encourager une industrie agricole qui « force » le milieu à la soutenir, il faut favoriser la réintroduction de races et de variétés de culture patrimoniales bien adaptées à la région, de même que la mise en valeur de savoir-faire anciens, qui constituent les premières étapes de la préservation de l’identité locale. C’est la notion de terroir bien défendue dans plusieurs pays d’Europe que tente de recréer Slow food Vallée de la Batiscan. « Il faut le faire exprès pour ne pas manger local ici! » s’exclame Johane Germain.
« Les jeunes qui viennent s’installer ici sont ouverts à travailler ensemble. Ils s’organisent avec les réseaux sociaux et les moyens de communication modernes pour se réunir rapidement et en grand nombre, si besoin est, par exemple pour une corvée urgente » remarque Mme Germain. Tout en travaillant localement à développer une économie sociale qui respecte le patrimoine, ils gardent ainsi un œil ouvert sur tout ce qui se passe dans le monde, échangent, partagent les expériences et les savoir-faire de partout. La technologie permet désormais de vivre en milieu rural sans être coupé du monde, sans avoir à voyager loin pour se parler.
Ce modèle fournit en outre aux femmes un bon moyen de gagner leur vie : « elles offrent une valeur ajoutée en transformant les produits du secteur primaire. Le milieu rural se prive de toutes ces compétences si on ne s’ouvre pas à de nouvelles façons d’occuper le territoire », croit notre interlocutrice.
Pour manger local, l’accès à la production doit être facilité. Les canaux de consommation locale se multiplient, permettant aux artisans de conter l’histoire de leurs produits aux acheteurs. Il y a là de belles opportunités pour pratiquer l’art de vivre ensemble, et tricoter des liens serrés entre gens du pays.
Pour unifier encore davantage son « pays de la Batiscan », Johane Germain rêve de baliser un sentier qui descendrait la rivière de sa source – au lac Édouard – à son embouchure – à Batiscan – avec des haltes dans des gîtes, des fermes, des endroits où découvrir la nourriture, la culture, la nature qui enrichissent son patrimoine. Un futur chemin de Compostelle de la souveraineté alimentaire? Une invitation qu’elle lance à venir « manger son pays! »