Renaud Goyer et Alice Grinand – International – CS3R – janvier 2022
Alors que la France se prépare pour les élections présidentielles du printemps prochain, le tableau du deuxième tour se précise et un duel Macron-Le Pen semble vouloir se répéter. La faute aux médias?
Au moment d’écrire ces lignes, Éric Zemmour, chroniqueur et polémiste d’extrême-droite, vient d’annoncer sa candidature à la présidence de la France. Plusieurs commentatrices et commentateurs affirment que sa présence dans la course et ses appuis encourageants dans les sondages sont liés au battage médiatique qui l’entoure. M. Zemmour, écrivain polémiste discourant sur les menaces pesant sur la civilisation française, s’est surtout fait connaître comme débatteur et critique à l’ancienne émission de Laurent Ruquier On n’est pas couché. Il y critiquait avec verve les ouvrages que venaient défendre des auteur(e)s, ce qui a donné lieu à plusieurs débats enflammés qui l’ont rendu célèbre. Ses positions critiques sur l’immigration, le féminisme et la mondialisation l’amèneront à intervenir de façon régulière sur les ondes d’une nouvelle station de télévision spécialisée en information : CNEWS.
CNEWS est l’initiative de Vincent Bolloré, une grande fortune de France, et de son groupe Canal+ qui souhaite importer le modèle de Fox News et profiter financièrement des idées d’extrême-droite. Pour ce faire, elle adopte une ligne éditoriale en ce sens et embauche des personnes qui défendent ces idées, tel que le Québécois Mathieu Bock-Côté, associé en France à l’extrême-droite.
Toutefois, la chaîne s’inscrit tout de même dans le modèle médiatique français qui carbure depuis très longtemps à la confrontation et aux sautes d’humeur. En effet, cette manière de faire n’est pas nouvelle en France et est même assez généralisée. Par exemple, les émissions de radio du matin sont célèbres, tant à France Inter qu’à RTL, pour leurs entrevues serrées de personnages politiques et médiatiques, qui permettront d’entretenir une certaine effervescence médiatique autour de leurs émissions. Parallèlement, le journalisme d’investigation, qui a déjà fait la fierté de l’information française avec des journaux comme Le Canard Enchaîné et le site Médiapart, qui dévoilent des scandales ébranlant la politique française, perd doucement sa place. Plusieurs observatrices et observateurs français(es) notent que le travail de journaliste est de plus en plus critiqué et sapé par les personnalités politiques, laissant un boulevard aux émissions plus ouvertement idéologiques.
Toutefois, la culture du « clash » ou de la confrontation, qui constitue un modèle économique plus rentable que l’information de fond, n’explique pas à elle seule la popularité d’un personnage comme Zemmour et la présence des idées d’extrême-droite dans les émissions d’information. La normalisation de ces idées se remarque dans les intentions de vote des partis, comme le Rassemblement National (anciennement Front National), et des candidat(e)s d’extrême-droite comme Zemmour, mais aussi dans le discours des politicien(ne)s de droite et des ministres de l’actuel gouvernement Macron. Au centre de ces discours, l’insécurité et l’immigration sont mobilisées de manière disproportionnée et ce, même si ce ne sont pas les thématiques les plus importantes pour l’électorat français. Ainsi, médias et politiques se retrouvent dans une espèce de chambre d’écho qui ne permet pas le développement d’autres thématiques ou manières de faire. D’ailleurs, les idées qui sortent trop de ce moule se retrouveront rapidement décrédibilisées, ne favorisant pas un climat favorable aux propositions nouvelles; la gauche radicale en a souvent fait les frais.
Ce portrait se conjugue aussi avec une gauche française toujours plus atomisée alors qu’aucun candidat à gauche ne dépasse les 10 % dans les intentions de vote. Il faut néanmoins se rappeler qu’en 2017, l’électorat de gauche s’était rassemblé autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon, qui avait obtenu presque 20 % des scrutins exprimés, au premier tour. Sera-t-il en mesure de renouveler ce score ?
François Ruffin, journaliste et député affilié à la France insoumise, dans une émission de radio récente, rappelait avoir « déjà en 2017, dénoncé le fait qu’il y avait eu un premier tour de l’élection présidentielle, qui s’était déroulé entre Bouygues, Bolloré, Niel Drahi et Bernard Arnaud. C’est l’oligarchie médiatique qui avait à l’époque choisi son canasson. » Il semble que la voie soit pavée pour que Macron obtienne un deuxième mandat et que l’extrême-droite étende encore plus son emprise sur la politique française, même s’il n’est pas impossible que Valérie Pécrese ou même Christiane Taubira rebattent les cartes. En France, les retournements de situation à la veille des élections présidentielles ne sont pas chose rare.