Tout le monde a accès, intentionnellement ou non, à du contenu problématique sur les réseaux sociaux : fausses nouvelles parfois banales, mais générant des récompenses chimiques dont le cerveau raffole, propos haineux, images idéalisées du corps, contenus anxiogènes, etc. Et les réseaux sociaux, ce n’est pas la seule pomme sur Internet. L’accès à tout le verger ne nécessite qu’un navigateur et un minimum d’imagination pour trouver les mots pour le dire, menant aux textes pour le lire et aux images pour le voir.
Il ne faut donc pas être surpris si l’accès aux réseaux sociaux et aux technologies numériques préoccupe les écoles. En contrôler l’utilisation est envisageable pour les uns alors que, pour les autres, le numérique peut faire partie de la solution à certains problèmes d’apprentissage et d’équité dans l’accès aux contenus. Mais les inquiétudes sont persistantes. Si les experts ne s’entendent pas tous, les risques psycho-sociaux liés aux réseaux sociaux et aux technologies numériques sont loin d’être nuls, certains y voyant même un enjeu de santé publique.
Mentionnons aussi que récemment (mai 2024), un sondage SOM montrait que 71 % des répondants disait non aux réseaux sociaux avant 16 ans et 56 % était en faveur de l’interdiction des cellulaires partout dans les écoles.
Qu’en dit la science?
Il est admis que les jeunes personnes sont plus vulnérables aux chants des sirènes sociales. Cet attrait profite du manque de maturité des régions du cerveau contrôlant la prise de décision et l’évaluation des risques. Le temps passé sur les écrans finit par avoir un impact sur le désir d’admiration, l’attente de rétroactions et la soif d’approbation par les pairs.
Et l’intelligence artificielle? Sa désormais omniprésence, en fournissant textes et images, libère encore davantage les cerveaux de la nécessité de comprendre, de synthétiser et d’exercer un jugement critique. Cela n’est pas qu’un problème mineur. Le jugement critique est un mécanisme cognitif aidant à décoder, analyser et pondérer les messages, et à les interpréter selon les codes, valeurs et connaissances acquises préalablement. Si son développement ne précède pas l’exposition aux médias sociaux et aux contenus Internet – et c’est ici que l’âge intervient – ce sont ces contenus qui serviront de points de repère et qui auront un poids démesuré dans la balance fragile du jugement critique.
Que faire alors?
En 2022, l’IFOP (Institut français de l’opinion publique) a mené une enquête sur l’impact du numérique chez les 0-6 ans. Au total, 603 parents d’enfants de 0 à 6 ans et 403 professionnels (médecins généralistes et pédiatres) ont été interrogés.
L’étude montre que les facteurs affectant le plus le développement des enfants sont l’environnement familial, l’exposition aux écrans et l’alimentation. Pour les professionnels, les difficultés de développement sont liées à un temps d’exposition excessif dans l’usage des écrans (56 %) et à des contenus inadaptés (45 %).
Les problèmes pour les enfants, selon l’étude, sont ceux auxquels on pourrait s’attendre : troubles du comportement et de l’attention, hyperactivité, problèmes de sommeil, surpoids, manque de concentration et performances cognitives inadéquates pour le groupe d’âge.
L’étude conclut que la clé est de mieux informer les parents sur l’usage des écrans : renforcer les campagnes d’information et de sensibilisation, clarifier les recommandations des autorités et organismes de santé publique, proposer des ateliers sur l’impact du numérique et fournir des outils pour réduire l’usage excessif des écrans. Donc, passer par les parents pour avoir un impact sur les enfants.
Illustration : Jacques Goldstyn
Va jouer dehors !
Le constat est frustrant : la tâche est extrêmement ardue lorsque vient le temps de tirer la plug des écrans ! Pourtant, il faut agir, ça ne fait plus de doute.
Les gouvernements, et le système éducatif, ne feront jamais trop d’efforts pour garder au goût du jour la socialisation (la vraie, en personne), la lecture et la valorisation de phrases simples comme « va jouer dehors » ou « va faire un tour chez ton ami-e ».
Les méga-entreprises du numérique, quant à elles, doivent prendre leurs responsabilités et cesser de mettre en place des pièges et mécanismes comme les appâts à clics, les notifications poussées et les « j’aime » qui sont de véritables micro-injections de dopamine créant, en un rien de temps, une dépendance tenace, de l’anxiété (fear of missing out) et le brain rot (pourriture du cerveau !). Il faut exiger un véritable engagement (lire « réglementer ») envers la protection de la jeunesse contre une exposition à des contenus inappropriés, la désinformation et la désocialisation. Il faut aussi leur demander de contribuer à la création du jugement critique et non à la stérilisation cognitive des jeunes cerveaux avant même que cette capacité d’exercer un tel jugement ne se forme.
Les temps d’écran sont des temps passifs, nuisant aussi à la forme physique. Il est démontré que les réseaux sociaux affectent le développement de l’image de soi, ce qui a un impact sur l’alimentation, la pratique abusive de certaines activités physiques ou encore l’abandon de pratiques sportives en lien avec la gêne d’exposer son corps. Ici aussi, les gouvernements doivent intervenir pour que les méga-entreprises du numérique assument leur part de responsabilité.
Finalement, les écrans ne sont souvent que des écrans de fumée qui nous empêchent de voir le vrai monde, tel qu’il est. Et on le sait, la fumée, ce n’est pas très bon pour la santé.