Jean-Claude Landry
ÉGALITÉ DES CHANCES
L’ÉCOLE NE PEUT PAS TOUT FAIRE…
Si l’idée de faire du Québec une société moderne était au cœur de la Révolution tranquille du début des années 1960, il y avait aussi celle d’un Québec plus juste au sein duquel tous les citoyens bénéficieraient, quelle que soit leur origine sociale, des mêmes droits, notamment celui de s’instruire. La réforme du système d’éducation, comme l’avait recommandé la Commission Parent, ouvrait toutes grandes les portes des institutions scolaires à qui voulait s’instruire. Tous les espoirs étaient donc permis.
Mais voilà que cinq décennies plus tard, les résultats ne sont pas au rendez-vous. L’accès universel aux études n’assure pas l’égalité des chances. Les écarts importants qui subsistent entre les écoles de milieu défavorisé et celles de milieu favorisé sont venus fausser la donne. De fait, on dénombre deux fois plus de décrocheurs dans les premières (25,8 % contre 11,7 % pour 2012-2013). Le problème est de taille puisque près du tiers des élèves du Québec, 200 000 au total, sont de milieu défavorisé.
Cette inégalité persiste en outre jusqu’à l’université, les jeunes provenant d’une famille dont les revenus sont parmi les plus élevés étant en proportion deux fois plus nombreux que celles et ceux issus des ménages aux revenus les plus faibles à accéder à l’université. En dépit d’efforts importants pour corriger la situation, il faut bien se rendre à l’évidence : l’écart entre les taux de diplomation des élèves des écoles publiques favorisées et ceux des élèves des écoles défavorisées s’est maintenu (voir tableau 1).
Mais tout n’est pas négatif. Les statistiques sur la réussite scolaire démontrent que les jeunes provenant de milieux défavorisés qui réussissent à l’école sont plus nombreux que ceux qui abandonnent ou qui sont en échec. N’empêche, l’école de laquelle on attendait tant, fait tout ce qu’elle peut, mais, c’est le dur constat de la réalité, elle ne peut, à elle seule, assurer l’égalité des chances.
L’école constitue, par contre, un formidable levier d’égalité lorsqu’elle s’inscrit dans une société résolument orientée vers la diminution des inégalités, les enfants connaissant de meilleurs parcours scolaires dans les sociétés plus égalitaires. C’est du moins la conclusion à laquelle en arrivent Richard Wilkinson et Kate Pickett, éminents épidémiologistes, au terme d’une vaste recherche sur les inégalités. Après étude des scores obtenus en mathématiques et en lecture dans les 50 États des États-Unis, ces chercheurs ont observé des performances scolaires inférieures chez les élèves vivant dans les États plus inégaux où, au surplus, on enregistrait des taux plus élevés de décrochage chez les élèves du niveau secondaire (voir tableau 2).
Tel un miroir, l’école, inégalitaire ou égalitaire, reflète la société dans laquelle elle s’insère. Réduire les écarts de réussite et favoriser la réussite du plus grand nombre exige une volonté politique réelle de lutte contre les inégalités.
Le développement et le maintien de services publics de qualité, notamment en santé et en éducation, une fiscalité progressive, des politiques de rémunération au-delà des seuils de pauvreté contribuent à réduire les inégalités. Tout comme les mesures visant à assurer une éducation publique gratuite ou à frais modiques comme les programmes de prêts et bourses et l’accessibilité à des services de garde.
Nos écoles publiques, du primaire à l’université, constituent de formidables leviers d’enrichissement intellectuel, culturel, social et économique pour le Québec. Mais la réussite de la mission qu’on leur confie exige à la fois un effort collectif immense assumé par l’ensemble de la société et la volonté d’y mettre le prix. Une conviction qui n’est pas nouvelle. Il y a de cela près de deux siècles, un illustre président des États-Unis, du nom d’Abraham Lincoln, n’avait-il pas déclaré : « Vous trouvez que l’éducation coûte cher? Essayez l’ignorance pour voir ».