Luc DrapeauLuc Drapeau, avril 2019 Le 5 avril prochain, VioleTT Pi, alias Karl Gagnon et ses complices Sylvain Deschamps (bassiste), Maxime Drouin (batterie) et Daniel Baillargeon (guitare, machine) seront de passage à la microbrasserie, boutique et salon Le Trou du diable pour l’une des dernières représentations de la tournée de l’album, Manifeste contre la peur (2016).

Vous avez dit inclassable

Il y a deux embarras quand vient le temps de dresser le portrait d’un artiste qu’on range de facto dans la catégorie des inclassables. Le premier est d’accepter le verdict séance tenante, d’utiliser à toutes les sauces ce mot fourre-tout pour s’épargner du temps ; l’autre est de se lancer à corps perdu dans le détail des influences qui, plus souvent qu’autrement, au gré des analyses, créent une sorte d’identité multiforme, une créature rapiécée digne d’un Frankenstein qu’on cautionne de notre magnanime électricité : « It’s alive! Sans nous, point de vivant. » Linkin park, Nirvana, Leloup, M, des phrasés qui évoquent un tel ou un autre, la liste est longue pour tenter de nommer les contours de celui qui se fait un devoir d’échapper à toutes catégories en maniant le verbe et les inventivités musicales avec beaucoup de poigne et de doigté pour arriver à destination : un lieu qui n’a pas son pareil dans le paysage musical québécois actuel.

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Détonnant

Prenant ses aises dans un univers antinomique où se côtoient le fancy et le rough, le funky et la déprime, Violett Pi est la fleur qui fracture le bitume. Irrévérencieux, impudique, improbable, l’artiste s’empare de sujets troublants et impopulaires (suicide, mal-être, relation conflictuelle, violence) et nous amène, sous des dehors magnifiquement contrastés, à prendre acte du beau qui côtoie le « poqué » et le vulnérable. À l’ombre des habitudes sociétales où l’on se complaît à produire souvent plus de la même chose dans des perspectives « court-termistes », là où les oreilles se font frileuses et là où les discours ont tendance à s’aseptiser, Gagnon et ses acolytes ne se gênent pas pour foutre des coups de pied dans la ruche, ébranlant au passage le réel qui s’étiole : « Et malgré le temps qui ne sait pas ce qui se passe / Je regarderai notre étoile brûler comme un arbre » (Betsey Johnson, dans Manifeste contre la peur).

S’affranchir de la peur

« Calude Gravol », 9e piste de l’album, dont le titre s’inspire de l’exploréen, cette langue inventée par le poète Claude Gauvreau, nous rappelle la liberté qui animait le personnage sa vie durant jusqu’à sa tragique défenestration le 7 juillet 1971 : « Calude a des ailes au milieu de ses verbes / Calude a des ailes mais il ne sait pas voler. » À l’exemple de Mycroft Myxeudeim, personnage principal de la pièce La charge de l’orignal épormyable (Gauvreau, 1956), Violett Pi défonce les portes qui briment sa liberté d’être et de créer. Entre l’idéal projeté et l’aliénation exprimée dans les titres de cet album, nous sommes d’avis que ce manifeste musical corrosif absolument bien ficelé sait nommer cette peur qui inhibe et engourdit la volonté de plus d’un : « Jolie peur / Je ne suis plus seul à te combattre / L’orage en fer de sang d’angoisse / a brûlé sous le rire de ma folie / Jolie peur est morte dans mes bras » (Postlude, dans Manifeste contre la peur). Voilà 63 ans, Claude Gauvreau dans La charge de l’orignal épormyable, écrivait : « Il faut poser des actes d’une si complète audace, que même ceux qui les réprimeront devront admettre qu’un pouce de délivrance a été conquis par tous. » À méditer en allant voir le spectacle de Violett Pi le 5 avril prochain.

Un peu plus de 3,141592654… questions à Violett Pi

1- D’abord, pour une question de mise en contexte : peux-tu nous dire pourquoi tu as intitulé ton second album Manifeste contre la peur ? VP — Pour lutter contre la médiocrité. Alain Deneault en parlerait mieux que moi.   2- Cette tournée se termine bientôt. Est-ce que tu as déjà un nouveau projet prêt à mettre en chantier ? VP — Quelques trucs ici et là de commencés, mais c’est dur de créer de nouvelles choses avec l’impression que la montre est un Dieu tout-puissant et que le calendrier est une ville nazie où il fait bon boire du vin de 5 à 7 heures.   3- Qu’est-ce qui prime dans ton processus de création ? VP — L’ennui… Cet énorme ennui.   4- Dans quelle mesure Violett Pi est un personnage ? VP — Dans la mesure où monter sur une scène n’a rien de normal.   5- On te qualifie d’inclassable, mais souvent on évoque des noms comme Linkin Park, Nirvana, Leloup pour qualifier certains aspects de ton œuvre. En général, trouves-tu qu’on donne trop d’importance aux influences qui ont donné corps à l’univers de l’artiste ? VP — C’est une arme puissante que de créer des réseaux de synonymes pour écarter ce qui dérange la messe. Je pense qu’il y a peu de gens qui écoutent l’album sérieusement sans regarder la pochette. L’esthétique du son et des images finit par prendre le dessus sur les réelles critiques qu’il pourrait y avoir. Le fond est laissé de côté, en effet. On n’entend jamais parler de musique : on entend parler des artistes qui en font.   6- Dans Calude Gravol, tu évoques la mort tragique de Gauvreau. Tu parles aussi de Denis Vanier çà et là. Peux-tu nous parler un peu de l’influence qu’ont eue ces auteurs et la poésie sur ton écriture ? VP — Je me rappelle être allé à la bibliothèque de façon assez militaire pendant une semaine pour aller lire les correspondances de Gauvreau. Il y a dans ces deux personnes une énorme flamme qui brûle de vérité. C’est la raison pourquoi ils sont cachés. Le feu brûlerait le Québec entier si leur nom se trouvait dans la langue populaire. Plus le temps avance et plus je vois que le feu disparaît. Il suffit de regarder son four pour comprendre que le feu n’est plus le bienvenu. Il suffit de regarder Ricardo pour voir que Marco Pier White est trop bruyant pour les carottes du Québec. Denis Vanier et Claude Gauvreau, c’est le Québec qui part de lui-même et qui revient dans le monde avec une phrase.   7- Est-ce tu arrives à garder ton idéal dans un marché qui ne laisse pas beaucoup de place aux artistes marginaux ? Plus largement, qu’est-ce que tu penses de la musique qui est réalisée au Québec présentement ? VP — Je n’écoute pas vraiment ce qui se fait au Québec. J’ai quelques personnes que j’admire beaucoup dans leur démarche. Je me sens souvent comme la marionnette d’une intention extérieure. Je tends la main hors des mots, hors des notes, hors de moi et j’espère toujours trouver quelque chose comme l’inconfort ou l’inconnu. C’est dans le confortable que je me sens biaisé. C’est le confortable qui me met mal à l’aise. C’est le confortable qui est irrévérencieux. Le confortable, ce n’est pas un divan, c’est le geste répété qui ne veut plus rien dire mais que l’on continue d’effectuer pour éviter d’avoir à inventer. Ce n’est même pas un réflexe ou un automatisme, c’est tout simplement le cancer des réelles intentions.   8 – Dans Postlude, tu conclus l’album en disant : « Seul dans l’oubli / Tu sauras / Jolie peur / Je ne suis plus seul à te combattre / L’orage en fer de sang d’angoisse / a brûlé sous le rire de ma folie / Jolie peur est morte dans mes bras. » Peux-tu dire que tu t’es affranchi de cette peur ? Dans et hors la musique ? VP — J’essaie tous les jours.   9- Étonnante pièce cachée après cette fermeture (un œil de chat dans une jeep arc-en-ciel…). Ça me fait penser à cet extrait de texte que je t’ai envoyé de Denis Vanier : « La poésie est mon double criminel et en l’écrivant, j’invente d’autres excès dont nous pourrions abuser. » Cet excès, serait-ce un vœu pour ton prochain album, maintenant que « la peur est morte dans tes bras » ? VP — En effet, les clôtures que je couche deviennent des chemins et j’essaie de réinventer mon propre jeu dans des territoires de plus en plus vagues. C’est le défi du coureur qui est tellement loin et seul qu’on ne sait plus s’il fait partie de la course. J’espère sincèrement arriver à faire cet album sans retenue qui donnerait le vertige aux sentiments. Il me faudra encore 15 ans pour y arriver, sans doute, mais l’évolution risque d’être intéressante à écouter.

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