Lors de son premier voyage au Canada, en 1603, Samuel de Champlain fait la rencontre de plusieurs clans autochtones, ce qui va solidifier les liens entre ces deux civilisations pendant plus d’un siècle et demi.

 

La première alliance

Au printemps 1603, Champlain, le père de la Nouvelle-France, débarque au comptoir d’échange de peaux de Tadoussac, fondé en 1600. Il se présente sans armes à un millier d’Autochtones; c’est un plan très téméraire, voire révolutionnaire pour l’époque. À la Pointe-aux-Alouettes, à l’embouchure du Saguenay, dans l’actuelle ville de Baie-Sainte-Catherine, il  rencontre des Hurons-Wendats qui font une tabagie (un festin) avec des Algonquiens et des Etchemins (Malécites) pour célébrer une victoire contre les Iroquois.

Le 27 mai 1603, Champlain fait une autre alliance, cette fois avec les Montagnais (Innus) de Tadoussac, où reste une centaine d’Autochtones dont le grand chef Anadabijou (mort vers 1611) qui réitère l’invitation. Ils deviennent naturellement ses amis et ses alliés. Les historiens québécois nomment cette alliance la « Coalition laurentienne ». À cet appel, les Autochtones répondent que les Français sont les bienvenus chez eux et qu’ils acceptent de commercer, mais rétorquent quelque chose tel : « Oui, vous pouvez vous installer sur notre territoire, on vous y invite, cependant vous allez aussi vous battre avec nous! ». Champlain tient parole et se bat à plusieurs reprises aux côtés des Hurons-Wendats contre leurs ennemis.

Cette diplomatie des Français s’appuie sur le désir du roi de France de l’époque, Henri IV, d’apaiser son royaume qui croule sous les guerres religieuses. Pour faire la paix, il proclame d’ailleurs l’Édit de Nantes (avril 1598), un appel à la tolérance entre les protestants et les catholiques. Lui-même renie la religion protestante et se convertit à la foi catholique. Le roi dit alors aux aventuriers qu’il envoie dans le Nouveau monde, comme Champlain, quelque chose tel : « tentez de négocier et de s’entendre avec ces gens-là… »

Dans son ouvrage posthume, publié en 2022, l’anthropologue Serge Bouchard précise sa perception de ces événements : « Anadabijou s’adresse à son tour, posément, à cette assemblée qui regroupe Français, chefs indiens et Innus. Il se dit fort aise d’avoir Sa Majesté le roi de France pour grand ami. Au nom de tous les siens, il annonce que les Innus seront les frères des Français, que ces derniers peuvent s’installer fraternellement dans le pays. Anadabijou aurait dit aux Français : nous, les humains d’ici, et vous, les humains de là-bas, nous allons nous mêler, nous embrasser, et faire un nouveau monde » (p. 116-117).

Selon Pierre-Alexandre Bonin, spécialiste québécois de la littérature jeunesse autochtone, « ce premier contact est basé sur la confiance, le respect et l’amitié ». En d’autres mots, il s’agit d’un esprit de « bonne entente ». Selon l’historien Éric Bédard, cette alliance stratégique n’est surtout pas anecdotique, c’est même un acte fondateur; sans cette alliance, la fondation de Québec, le 3 juillet 1608, n’est pas possible.

Le cas de Trois-Rivières

Capitanal (il faut prononcer: Kapitenash) est un important chef montagnais (Innu), orateur et ami fidèle des Français, mieux connu pour avoir donné son nom à un édifice gouvernemental sur la rue Laviolette au centre-ville trifluvien. Son père, un ami de Champlain, est tué au cours d’un combat contre les Iroquois, en 1615, combat dans lequel Champlain lui-même est blessé. Capitanal est encore enfant quand son père meurt.

Avec le temps, il entend les anciens de sa nation raconter comment Champlain vint d’abord dans leur pays et comment les Innus s’efforcent de le persuader de demeurer parmi eux. Le 24 mai 1633, avec un certain nombre d’Innus de la région de Trois-Rivières, Capitanal arrive à Québec dans 18 canots, quelques jours à peine après le départ des Anglais (les Frères Kirke ont conquis Québec de 1629 à 1632) et le retour de Champlain, qui avait lui-même négocié le retour de la colonie française auprès de la couronne anglaise.

Le père jésuite Paul Le Jeune tient Capitanal pour un homme d’un grand bon sens. Toutefois, ce dernier décède au cours de l’automne de l’année suivante, en 1634, juste après la fondation du fort de Trois-Rivières le 4 juillet par un certain monsieur « Laviolette ». Avant de mourir, Capitanal demande aux notables de sa nation de maintenir les bonnes relations qu’il a établies avec les Français. Afin de bien prouver son amitié pour ceux-ci, il se fait transporter au nouvel établissement de Trois-Rivières afin d’être enterré près de ses amis. Il demande aussi d’être porté en terre par des Français, qui reçoivent chacun un cadeau de lui. On fait droit aux désirs de Capitanal et Champlain fait entourer sa tombe d’une clôture.

En conclusion

Cette amitié entre Autochtones et Français culmine en août 1701 avec la signature d’un traité de paix sur la rue Saint-Sulpice à Montréal entre le gouverneur Sieur de Callières, représentant du roi de France, et une trentaine de nations autochtones, dont plus de 1 300 Autochtones venus sur place. Cet événement, un véritable exploit diplomatique qui met fin à un siècle de guerres intermittentes, a lieu grâce à la détermination du chef des Hurons des Grands Lacs, Kondiaronk (1625-1701), qui consacre les dernières années de sa vie à établir une paix générale entre les Français, leurs alliés autochtones et les Iroquois.

Bref, il faut comprendre que cet état d’esprit d’une diplomatie de l’apaisement et de la pacification de la part des Français, d’une sincère collaboration à long terme entre partenaires égaux, n’a aucun lien avec les relations avec les Autochtones développées après la Conquête britannique (1759-1763) et basées entre autres sur l’asservissement et l’infantilisation, ni avec le modèle canadien de la Loi sur les indiens (1876) dite Acte des Sauvages de John A. Macdonald, qui souhaitait « tuer l’Indien au cœur de l’enfant », ni avec le modèle états-unien dans lequel les premiers peuples seront chassés de leur territoire ancestral par les armes avec l’accord du gouvernement fédéral et ce, dès les années 1830. Mais ceci est une autre histoire.

Sources principales :

« La Grande Tabagie de 1603, vrai début de la présence française au Canada », 29 novembre 2019, entretien avec Éric Bédard à l’émission Aujourd’hui l’histoire, Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/144189/grande-tabagie-1603-vrai-debut-presence-francaise-canada-eric-bedard

« Ils étaient l’Amérique » (Tome 3 de la série De remarquables oubliés) par Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, Lux Éditeur, collection « Mémoire des Amériques », 2022, 280 p. https://luxediteur.com/catalogue/ils-etaient-lamerique/

Thomas Grassmann, Dictionnaire biographique du Canada : www.biographi.ca/fr/bio/capitanal_1F.html

« Mélanges historiques : Trois-Rivières d’autrefois » (volume 20) par Benjamin Sulte, Éditions Édouard Garand, 1933, 97 p. https://collections.banq.qc.ca/bitstream/52327/2021907/12/59287-20.pdf

« Image et place des personnages autochtones dans la littérature historique pour la jeunesse », conférence de Pierre-Alexandre Bonin à la 5e édition des Rendez-vous d’histoire de Québec, 2022, 45 minutes. https://www.youtube.com/watch?v=lEylx8aXwkI&t=8s

Merci aussi à Sylvain Leblanc alias Loublan pour certaines spécifications.

 

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