Réal Boisvert, Septembre 2018
Le criocère est un petit coléoptère au dos rouge et au ventre noir. Michel Tournier, dans Lieux dits, nous rappelle que la larve de cet insecte, enrobée de ses déjections, ravage complètement le lis. Tout y passe, dit-il, fleur, feuille et tige. Le criocère, selon lui, est apparemment le seul animal avec l’homme assez stupide pour anéantir la plante qu’il parasite et à laquelle il doit sa subsistance.
Pour le dire avec les mots de Ian Angus dans Face à l’anthropocène, Le capitalisme fossile et la crise du système terrestre , la terre est entrée dans une phase évolutive où l’être humain, en raison de son mode de développement économique, est désormais une force géologique qui bouleverse de fond en comble le système écologique planétaire. Le capitalisme en effet va de pair avec la déforestation massive, la surpêche, l’exploitation tout azimut des hydrocarbures, l’entassement précaire des déchets radioactifs ainsi que l’accumulation effrénée des rejets industriels, des ordures domestiques et des matières plastiques. Le corolaire à tout ça est impitoyable : le climat se dérègle, la couche d’ozone est trouée de part en part; la biodiversité s’appauvrie sans cesse; l’air est irrespirable en plusieurs endroits du globe; enfin, la terre est en passe de devenir une étuve. C’est ainsi, poursuit Angus, qu’il est plus facile de prévoir la fin du monde que la fin du capitalisme.
Illustrons la chose autrement. Si, relate Albert Jacquard, un étang prend 24 heures pour se remplir de nénuphars, sachant que chacun d’eux se reproduit en double, à quelle heure l’étang sera-t-il à moitié plein ? À la dernière seconde de la dernière heure, bien sûr ! Ainsi le veulent les fonctions exponentielles. Et c’est de cette manière que se développe depuis cinquante ans la courbe de tous les indicateurs environnementaux. Par effet de synergie et d’emballement algébrique, tout est sur le point de péter.
Mais comment se fait-il que l’espèce humaine sachant qu’elle fonce dans un mur soit si peu pressée de transformer son mode de vie ? Comment expliquer que la question environnementale ne soit pas la priorité de nos préoccupations ! Comment comprendre que le premier ministre du pays vante les mérites des sables bitumineux alors que leur exploitation revient, pour faire du pouce sur les mots d’Amin Maalouf, à extraire du sol les excréments du diable ? Serions-nous donc dotés collectivement d’une cervelle de criocère?
Contrairement aux abeilles ou aux fourmis par exemple, nos caprices individuels et notre folie consumériste passent avant la survie de l’espèce. Et au lieu d’entendre ce que nous disent les scientifiques, nous les accusons d’être des prophètes de malheur. Le ciel est bleu, le temps est doux, le jardin est luxuriant. Qui y-a-t-il à craindre ? Pourquoi s’énerver, le verre n’est-il pas à moitié plein ? Insistons avec Jacquard pour dire qu’en matière d’environnement il faut se méfier de ce cliché. Le temps est compté. Il y a urgence d’agir.
La théorie des petits pas n’a plus sa place. Il faut donner un grand coup. La démission fracassante du ministre français de l’environnement Nicolas Hulot est de cette nature. Et tout n’est peut-être pas perdu si on se fie au Devoir qui relatait dernièrement l’exemple d’un petit village d’Alsace, Ungersheim, mobilisé dans une démarche de démocratie participative visant l’autonomie énergétique et alimentaire ainsi que zéro déchets. Édifiant ! Inspirant surtout en cette période électorale plutôt timide au regard de la question environnementale…