Réal Boisvert, septembre 2015
De passage à Trois-Rivières récemment, le premier ministre est venu saluer ses militants, des invités triés sur le volet, assemblés dans un lieu tenu secret jusqu’à la dernière minute. Un lieu dont les portes ne se sont ouvertes aux journalistes qu’après que des chiens renifleurs eurent frotté leur museau sur eux, à la recherche peut-être de mines antipersonnelles ou d’armes semi-automatiques. En plus des chiens, il y avait là une horde d’agents de sécurité dont certains, dit-on, font partie d’une garde rapprochée formée par d’anciens militaires. Le discours de Stephen Harper a porté essentiellement sur la sécurité et la stabilité économique. Aucune allusion aux enjeux locaux, en particulier au drame de la pyrrhotite avec lequel sont aux prises des milliers de propriétaires de maison à Trois-Rivières. Son boniment terminé, il a tourné les talons et n’a fait l’aumône d’aucune question aux médias trifluviens. Les questions – une par jour – sont réservées aux quatre journalistes nationaux qui l’accompagnent et qui ont payé chacun 78 000 $ pour avoir droit à leur strapontin dans la caravane.
Bonjour la démocratie ! On est en campagne électorale ou quoi ? On a le droit de savoir. C’est le temps de demander des comptes à ceux qui gouvernent ce pays depuis dix ans. Qu’en est-il des reculs en matière de protection de l’environnement ? Pourquoi tous ces avantages accordés aux compagnies pétrolières ? Qu’arrive-il à notre corps diplomatique ? Fallait-il à tout prix abolir le recensement ? Depuis quand les scientifiques à l’emploi du gouvernement n’ont-ils plus le droit de parler de leurs travaux ? Quel est le but d’un système pénal si répressif ? Pourquoi judiciariser à ce point les contrevenants mineurs ? Pourquoi s’acharner à empiéter sur les domaines de compétence provinciaux, notamment en créant une agence nationale de régulation des marchés ? Combien de lois ou de règlements ont-ils été jugés comme étant anticonstitutionnels par les tribunaux supérieurs depuis que les Conservateurs sont au pouvoir ? À qui ont été transférées les coupes faites auprès des instances culturelles et des organismes communautaires ? Ne parlons pas du Sénat. Oublions l’ineffable Duffy. Abordons la fiscalité. En quoi le fractionnement du revenu aidera-t-il les classes moyennes ? N’est-ce pas le plus beau cadeau qui n’eut été accordé jusqu’ici aux plus riches de ce pays ? Et puis les demandes d’asile, la guerre contre EI… Pathétique !
Un coup parti, pourquoi une campagne électorale si longue si on ne peut pas interpeller le premier ministre ? De quoi a-t-on peur pour se cacher derrière un escadron d’hommes muni d’oreillettes ? Quel message envoie-t-on aux journalistes quand ce sont des chiens renifleurs qui les accueillent entre deux arrêts d’autobus ?
À moins que le média ce soit encore une fois le message, comme le disait le légendaire McLuhan. La mise en scène a valeur de symbole. Les chiens, les gardes du corps, les agents de sécurité, la discipline des militants, voire leur hostilité envers les journalistes, tout ça donne l’impression de vivre en situation de crise appréhendée. Ce qui justifie qu’on doive vous sentir de près au cas où vous seriez un terroriste, un prédateur ou un criminel sorti hâtivement de prison. Oui, vous sentir de près pour s’assurer que vous êtes du bon bord ou afin de vous ignorer royalement si vous ne l’êtes pas. Et pour finir, l’évitement des questions permet de faire courir les rumeurs, de laisser filer les demi-vérités. Pas de meilleure façon d’instaurer un sentiment de méfiance collective, gardienne par excellence du statu quo et de l’ordre établi. Si c’est voulu comme ça, il se peut que la stratégie réussisse. À moins qu’un tsunami d’indignation nous délivre de cette mascarade le 19 octobre prochain…