Louis-Serge Gill – Opinion – juillet 2021
Les grandes chaleurs en juin qui précèdent celles de juillet, d’août, de septembre… Mon ventilateur peine à me soulager de l’humidité ambiante. Ces derniers temps, les chercheurs du GIEC donnent à l’humanité l’horizon « 2050 » avant que s’enchaînent des cataclysmes environnementaux[1]. À travers le vrombissement de mon ventilateur, je m’imagine déjà brûlant ma vie de septuagénaire dans un monotube vers l’apocalypse.
Coincés dans le four
C’est que, pour le mi-trentenaire que je suis, les reportages du dernier mois sur la Colombie-Britannique frappent l’imaginaire.
Rappelons quelques faits. En moins d’une semaine, on fracasse tous les records de chaleur. Le 29 juin dernier, le village britanno-colombien de Lytton voit 49,6oC au thermomètre, 10oC de plus que le précédent record et le 1er juillet, 90% de cette municipalité est rasé par le feu ; à l’échelle de la province, on compte 233 morts subites en raison de la chaleur, soit une centaine de plus que ce qui est observé en temps normal[2].
Une situation jamais vécue en Amérique du Nord ? Si seulement…
Le 13 juillet 1995, à Chicago, on annonce une vague de chaleur. En quelques heures, le thermomètre indique 120oF, soit environ 48oC, avec l’humidité ambiante. Les jours qui suivent se révèlent critiques : le mercure ne descend jamais en-deçà de 20oC, les services d’urgence ne fournissent plus, les gens des quartiers plus défavorisés, ne venant pas à bout de la chaleur, ouvrent des bornes fontaines (environ 3000), la pression de l’eau diminue dans les foyers et ainsi de suite. Les événements s’intensifient quand plusieurs transformateurs électriques cèdent à la demande. Plus d’électricité, plus d’eau potable.
Au bilan, un millier de morts en une semaine.
Gérer les changements climatiques
La pandémie actuelle de COVID-19 en témoigne bien : les catastrophes naturelles semblent toujours nous battre de vitesse. Ces dernières révèlent pourtant les failles invisibles qui craquèlent notre vie communautaire. On ne les voit pas ou plutôt, on refuse de les voir, reléguant leur calfeutrage à plus tard.
À tout le moins, cela se rapproche des conclusions auxquelles arrivait Eric Klinenberg, sociologue des milieux urbains, dans son « autopsie » de la vague de chaleur mortelle de l’été 1995 à Chicago. Pour Klinenberg, il ne s’agit pas seulement d’une catastrophe naturelle. Le désastre est aussi social, ce sont les quartiers populaires qui sont les plus touchés. La grande majorité des défunts ont été découverts a posteriori, enfermés dans des appartements sans aération, sans famille et sans amis.
Au-delà des mises en garde habituelles (boire de l’eau, se tenir à l’ombre, etc.), les changements climatiques appellent une transformation de nos modes d’intervention en situation d’urgence. Il faut apprendre à voir venir les « coups ». Évidemment, il apparaît impensable qu’un « gouvernement de banlieue » imagine que par-delà la limite définie des haies de cèdres on puisse souffrir d’un peu de chaleur.
Pourtant, tous n’ont pas accès à la climatisation et tous n’ont pas les moyens de se rendre en des lieux qui en sont équipés. À bien des égards, des municipalités et des promoteurs immobiliers concourent à notre tragédie collective en bâtissant littéralement des îlots de chaleur, ces espaces bitumés et bétonnés qui emmagasinent et reflètent la chaleur. Ainsi, le combat se mène sur deux fronts : lutte aux changements climatiques et gestion des conséquences de ceux-ci.
J’en suis à ces réflexions, aéré par ce même ventilateur acheté par mes parents dans les années 1990. Je ferme les yeux et je me prends à imaginer un futur proche fait de campagnes électorales municipales, provinciales et fédérales où l’on discute d’aménagement des espaces urbains et ruraux, de plans d’urgence, du sort des aînés et de l’isolement social.
Bref, je rêve.
Références
Agence France-Presse, « L’humanité à l’aube de retombées climatiques cataclysmiques », le 23 juin 2021. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1803880/changement-rechauffement-climatique-giec-
University of Chicago Press, « Dying Alone : An interview with Eric Klinenberg author of Heat Wave: A Social Autopsy of Disaster in Chicago ».
https://press.uchicago.edu/Misc/Chicago/443213in.html
XENOS, Sarah, « Canicule en C.-B. : la coroner en chef enquête après 233 morts subites en 4 jours », le 29 juin 2021. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1805398/deces-chaleur-canicule-grc-cb-burnaby
[1] Agence France-Presse, « L’humanité à l’aube de retombées climatiques cataclysmiques », le 23 juin 2021. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1803880/changement-rechauffement-climatique-giec-
[2] Sarah Xenos, « Canicule en C.-B. : la coroner en chef enquête après 233 morts subites en 4 jours », le 29 juin 2021. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1805398/deces-chaleur-canicule-grc-cb-burnaby