Alain Dumas, avril 2019
La privatisation des soins de santé ne cesse de progresser au Québec. Si le privé est déjà bien en selle dans les soins dentaires, optométriques et thérapeutiques, des brèches s’ouvrent de plus en plus dans la médecine familiale. De patient à client, le Québec est en train de passer d’une logique de santé publique à une logique de profit privé.
Les indicateurs de privatisation
Cette privatisation est d’abord visible dans le nombre de médecins qui sortent ou ne participent pas au régime public d’assurance médicale du Québec (RAMQ). Ce nombre est passé de 50 au début des années 2000 à plus de 800 en 2019, selon la compilation de la Régie de l’assurance-maladie. Du côté des infirmières et infirmiers, 7700 exercent dans le secteur privé, soit 11 % de l’effectif total (Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec, 2013).
Mais le privé en santé va bien au-delà de ce phénomène. La privatisation gagne du terrain depuis le regroupement des activités médicales dans des super-cliniques privées de santé. Si ces cliniques acceptent votre carte de la RAMQ, elles n’appartiennent cependant pas à l’État. Elles sont la propriété de groupes d’investisseurs privés. Selon une étude portant sur 54 cliniques privées, 40 d’entre elles (soit 74 %) sont des sociétés par actions qui, par définition, visent le maximum de profits pour leurs actionnaires. D’après notre compilation, il existe actuellement plus de 500 cliniques privées au Québec, comparativement à quelques-unes au début des années 2000 et 200 en 2013. Le comble dans cette histoire, c’est que ces super-cliniques privées sont financées par nos impôts.
Le cercle vicieux de la privatisation
La montée du privé n’est pas étrangère aux compressions budgétaires de plusieurs centaines de millions de dollars dans le réseau public. La prolifération des cliniques privées a non seulement pour effet de réduire les investissements dans le système public, mais aussi de favoriser le déplacement des ressources soignantes vers le secteur privé. Le Québec s’enlise donc dans le cercle vicieux d’un affaiblissement du système public qui a comme conséquence de favoriser le secteur privé, et ainsi de suite. La route est donc pavée pour un système de santé à deux vitesses.
En effet, la précarisation du système public pousse les Québécois à se tourner vers le privé. Le Québec est non seulement la province qui dépense le plus pour des soins de santé dans le privé, mais ces dépenses ne cessent d’augmenter. La part du budget familial consacrée aux dépenses de santé dans le privé est passée de 3 % en 1996 à 4,5 % en 2014. Les dépenses moyennes d’un ménage québécois dans la santé privée ont doublé depuis 1996, passant de 1339 $ à plus de 3000 $ en 2018.
L’exemple de la coexistence public-privé dans l’assurance-médicament devrait nous servir de leçon. Les coûts sont très élevés et la couverture est très inéquitable. Le coût moyen des médicaments par habitant est de 1500 $ au Québec, comparativement à 600 $ dans l’ensemble des pays développés (selon l’OCDE). Cela s’explique par la multiplication des régimes d’assurance privée, qui entraîne des frais de gestion plus élevés, tout en privant le Québec d’un pouvoir de négociation important avec les compagnies pharmaceutiques. Les études montrent qu’un régime public à 100 % a pour effet de réduire le coût des médicaments de 20 % à 40 % en moyenne.