Par Jean-Michel Landry, avril 2017
Le fleuve Saint-Laurent alimente notre imaginaire. Vaste et profond, il impose le respect et règne en maître sur le paysage québécois. Un bref survol de notre production littéraire et cinématographique permet de comprendre que le fleuve n’est pas un cours d’eau ordinaire. Le Québec y puise une part de sa fierté.
Cet attachement s’explique d’abord par l’histoire : la société québécoise doit sa naissance et sa prospérité au fleuve. C’est en effet par la porte du Saint-Laurent que les explorateurs européens ont atteint les territoires qui deviendront la Nouvelle-France. Le fleuve a cependant offert beaucoup plus qu’une porte aux premiers colons. Ses eaux permettaient aux habitants de se rendre d’un village à l’autre. Jusqu’en 1925, chaque famille possédait son canot, souligne l’ethnologue Alain Frank. L’historien mauricien François Antaya ajoute que les énormes ponts de glace qui se formaient sur le Saint-Laurent permettaient aux Québécois de se déplacer également sur l’axe nord-sud en hiver. Les deux rives se voyaient ainsi rapprochées l’une de l’autre. Par temps froid, trois kilomètres seulement séparaient Trois-Rivières et Bécancour! Les temps ont toutefois bien changé. Nos hivers cléments ne permettent plus la formation de ces chemins de glace.
Le Québec s’est par ailleurs industrialisé depuis le début du siècle dernier. Notre activité économique s’est tournée vers l’intérieur du continent. Le réseau routier et le transport ferroviaire ont ainsi fait perdre au fleuve son statut d’artère principale. Plusieurs phares et de nombreux quais ont graduellement été abandonnés. L’arrivée des bateaux de fer et des grandes entreprises de navigation maritime a fait disparaître les goélettes et les savoir-faire liés à leur construction. Même si aujourd’hui encore, on « descend» à Québec et on « monte » à Montréal, nos déplacements ne dépendent plus des caprices du fleuve.
Autrement dit, notre rapport au fleuve s’est transformé. Pour une majorité de Québécois, le Saint-Laurent constitue avant tout un objet de contemplation, un « joyau à préserver ». Or, cette relation récréative n’englobe pas tout. Selon la Société de développement économique du Saint-Laurent, 90 % des biens que nous consommons quotidiennement nous parviennent par le fleuve. Au-delà du transport des marchandises, le cours d’eau que les peuples amérindiens appelaient « Magtogoek » continue d’inspirer les créateurs. Les nombreuses productions culturelles qui rendent hommage au Saint-Laurent en témoignent. Elles vont de la danse au documentaire en passant par les installations multimédias.
De récentes mobilisations citoyennes montrent également le lien particulier qui unit les Québécois à leur fleuve. On se souvient du combat mené contre le projet Rabaska, lequel prévoyait la création d’un port méthanier à Lévis. Abandonné en 2013, le projet comportait d’importants risques écologiques et maritimes. Sans compter que les installations industrielles auraient dénaturé le paysage à tout jamais. Pour éviter de telles catastrophes et mieux préserver le patrimoine maritime, des communautés de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent ont récemment adopté une charte du paysage. La région de Charlevoix travaille actuellement sur un projet similaire.
Pour autant, le Saint-Laurent et ses paysages ne sont pas à l’abri. La pétrolière TransCanada souhaite faire traverser le pipeline Énergie Est sous le fleuve à la hauteur de Saint-Augustin-de-Desmaures, exposant toute la région au risque d’un déversement de pétrole. Les projets d’exploitation pétrolière dans le golfe du Saint-Laurent et sur l’île d’Anticosti menacent également les milieux marins du Saint-Laurent.
Par-delà du péril écologique, c’est aussi notre imaginaire qui est concerné. Car comme le dit l’historien François Antaya, le fleuve constitue le « trait d’union » des Québécois; un trait d’union reliant à la fois les régions et les générations. D’où l’importance d’en prendre soin maintenant et pour longtemps.