Jean-Michel Landry, mars 2019
L’histoire récente nous a appris que les politiques d’austérité frappent les femmes plus durement que les hommes. Les compressions (mesures dites d’« austérité ») imposées par les gouvernements européens entre 2008 et 2014 ont entraîné la diminution des congés parentaux, la disparition de groupes d’aide aux victimes de violence conjugale et la suspension de programmes favorisant l’égalité des sexes.
L’expérience européenne montre également que l’atrophie des services sociaux pèse davantage sur le quotidien des femmes; aujourd’hui encore, elles accomplissent la majorité des tâches domestiques et consacrent plus de temps que les hommes aux soins des enfants et des aînés. Le Québec, qui se flatte de compter l’égalité homme/femme parmi ses « valeurs », ne fait guère mieux. L’Institut de recherche et d’informations socio‑économiques observe que les politiques d’austérité menées par les gouvernements péquistes (1996-98) et libéraux (2014-15) ont affecté les femmes à hauteur de 13 milliards de dollars (et les hommes pour 10 milliards).
Or les femmes ne sont pas que des usagères des services sociaux; elles en sont également les principales fournisseuses. La féminisation du salariat compte parmi les grandes transformations du siècle dernier. Une large proportion de femmes œuvrent aujourd’hui au sein des secteurs circonscrits — et toujours sous-rémunérés — que sont l’éducation, les soins et le nettoyage. Au Québec, plus de 75 % des salariés du système public sont de sexe féminin. (Les secteurs privés des technologies et de la finance, par comparaison, en comptent souvent moins de 20 %.) Infirmières, préposées aux bénéficiaires, éducatrices, institutrices, assistantes médicales : ce sont principalement des femmes qui au jour le jour pallient, combattent et subissent le dépérissement de l’État social québécois.
Autrement dit, l’austérité heurte les femmes à double titre : comme usagères des services sociaux et comme travailleuses. Les compressions budgétaires et restructurations forcées (pensons à la réforme Barrette) minent la santé et le moral du salariat féminin, observe Loraine Dugas, première vice-présidente du Conseil Central du Cœur du Québec (CSN). La réduction des effectifs, l’instauration de normes de productivité et la surcharge de travail empêchent ces travailleuses de l’ombre de bien faire leur travail, c’est-à-dire de prendre soin des jeunes et des moins jeunes avec compassion et humanité. « Travailler dans le domaine des soins est une vocation, » poursuit Mme Dugas. « Ces gens-là ont leur travail à cœur. Il faut aimer le monde pour offrir des soins au quotidien. Aujourd’hui, malheureusement, plusieurs se rendent au travail comme des détenues. Elles se disent “je vais faire mon temps” ».
Les Québécois se souviendront du cri du cœur lancé par Émilie Ricard, une jeune infirmière de l’Estrie, en janvier 2018. « Je suis brisée par mon métier », écrivait-elle, « j’ai honte de la pauvreté des soins que je prodigue dans la mesure du possible. Mon système de santé est malade et mourant ». Lancé comme une bouteille sur la mer des réseaux sociaux, son message fut relayé par 50 000 personnes en moins de 48 heures. Il y a lieu de croire que le cas de Mme Ricard représente malheureusement la pointe visible de l’iceberg. Au cours des 5 dernières années, note Mme Dugas, la consommation de psychotropes et autres médicaments contre l’anxiété et la détresse psychologique a explosé chez les travailleuses du réseau de la santé.
Source supplémentaire: https://www.monde-diplomatique.fr/2019/01/RIMBERT/59406