Mireille Pilotto – traductrice et réviseure – Culture – septembre 2021
En cette période de rentrée scolaire, certains se demandent si la pandémie aura causé des troubles de santé mentale chez les étudiants et enseignants. Le mot trouble est-il bien employé ici ?
Assurément ! Au sens de « dérèglement physique ou mental du fonctionnement du corps humain », ce terme est approprié. On le rencontre par ailleurs souvent dans le vocabulaire de l’éducation sous le vocable troubles d’apprentissage – selon Statistique Canada, ces incapacités touchent plus de 2 % des adultes de 15 à 24 ans.
En revanche, quand je vois le long de l’autoroute une publicité pour un détersif à lessive qui énonce : « Tache résistante ? Pas d’trouble. », je sursaute. En effet, malgré la puissance attribuée au produit annoncé, trouble en français, contrairement à l’anglais, ne peut pas exprimer le sens de difficulté ou d’ennui. On aurait donc dû lire : « Pas d’problème » ou « Pas d’souci ».
Cela dit, notre trouble possède d’autres significations. Par exemple, les médias rapportent couramment que tel pays est aux prises avec des troubles politiques ou que telles manifestations créent des troubles récurrents. On parle alors d’une agitation, d’un déséquilibre ou d’un désordre au sein d’un groupe social ou d’une population.
Par ailleurs, quand le bouleversement ou la confusion altèrent l’état émotif d’une personne, celle-ci vit un trouble ou se sent troublée.
Enfin, comme on le sait, l’adjectif trouble désigne la non-limpidité d’un liquide ou d’un matériau transparent à cause de particules en suspension : une eau trouble, un cristal trouble.
Tout bien considéré, on retiendra que trouble traduit l’idée d’un mouvement interne désordonné, qu’il s’agisse d’éléments humains, matériels ou immatériels. Du reste, étymologiquement, il s’apparente à plusieurs termes tout aussi évocateurs de cette action : turbulence, tourbillon, perturbation, turbine.
Pour terminer, croyez-vous que Justin Trudeau se met « dans le trouble » ou qu’il se donne « du trouble » pour rien en déclenchant des élections anticipées ? On le verra au cours de cette campagne accélérée, mais les expressions « avoir ou se donner du trouble » et « être ou se mettre dans le trouble » constituent encore des emprunts sémantiques à l’anglais (to have trouble, to be in trouble).
Ainsi, on préférera formuler que quelqu’un s’attire ou a des ennuis, des difficultés, des embêtements, des tracas, des embarras, des problèmes, du souci, de la peine, etc. Ou bien qu’une personne se donne du mal, a du fil à retordre, se démène ou remue ciel et terre.
Néanmoins, il me semble – ce n’est qu’une perception, donc aucunement le résultat d’une étude scientifique – que l’utilisation erronée de trouble est beaucoup moins fréquente de nos jours. Comme quoi les anglicismes, tout comme les politiciens, ne sont pas indélogeables.
Sources
- Office québécois de la langue française, Banque de dépannage linguistique : « trouble » : http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?t1=1&id=4411.
- Usito, dictionnaire québécois en ligne : entrée « trouble, n. m. » : https://usito.usherbrooke.ca/d%C3%A9finitions/trouble_2.
- Centre national de recherche textuelle et lexicale, onglet Lexicologie, entrée « trouble » : https://www.cnrtl.fr/definition/trouble.
- Dictionnaire étymologique du français – La généalogie de notre langue, Jacqueline Picoche, Les usuels du Robert, Paris, 1994, entrée « troubler », p. 561.
- Statistique : « Environ 622 300 adultes (2,3 %) [tranche d’âge 15-24 ans] ont indiqué avoir un trouble d’apprentissage […] ». Les troubles d’apprentissage chez les Canadiens âgés de 15 ans et plus, 2012 (mise à jour en 2015), Statistique Canada : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-654-x/89-654-x2014003-fra.htm.