Par Valérie Delage
En ce mois de l’économie sociale, il me semble important de rappeler que l’un des principes autour desquels celle-ci s’articule est celui de la prise de décision démocratique. Que l’on parle de travail en collégialité, de leadership partagé ou de gestion participative, toutes les personnes concernées peuvent participer à la prise de décisions, de façon à éliminer le plus possible les rapports hiérarchiques.
C’est un peu le modèle de la pédiatrie sociale en communauté proposé par le Dr Julien, où toutes les personnes impliquées dans la vie d’un enfant se réunissent autour d’une table pour essayer de mettre en place des actions qui vont le soutenir dans son développement. Ce n’est pas le médecin qui se place en position suprême de celui qui sait ce qui est bon. Tout le monde est invité à exprimer son opinion, partager son savoir, y compris les parents et surtout l’enfant lui-même. Ce travail solidaire permet d’arriver à des décisions rapides, durables, beaucoup plus proches de la réalité quotidienne de l’enfant et de faire en sorte que tout le monde se sente partie prenante de la solution, considéré et donc plus motivé à s’engager.
Voilà une manière de fonctionner bien séduisante, valorisante pour chaque membre du groupe et respectueuse de ce que chacun peut apporter que l’on aimerait voir plus répandue. Mais sommes-nous prêts socialement à généraliser ce mode de prise de décision? Le travail en collégialité suppose une bonne écoute, une ouverture à l’autre, une capacité de dialoguer dans le respect, même si on est en désaccord. Il exige une certaine humilité pour accepter que ce ne soit pas toujours notre opinion qui soit retenue ou que celle-ci puisse être contredite. Or, la société actuelle, encore très hiérarchisée, est composée de certains types de gens qui se sentent plus à l’aise lorsqu’ils sont guidés, dirigés, qui préfèrent exécuter des tâches sans avoir à se poser de questions. Tandis que d’autres types de personnes sont plus à l’aise en situation d’autorité, de pouvoir.
Pour ma part, c’est dans un mode de prise de décision en collégialité que je fonctionne le mieux. Je ne suis pas une leader naturelle. Par contre, on peut difficilement exiger quelque chose de moi en faisant valoir sa supériorité hiérarchique! J’accorde le même respect à l’apport de l’humain à la société, qu’il soit dirigeant d’une organisation ou sur l’aide sociale. Cependant, je constate au quotidien dans mon entourage toutes les difficultés que soulève le travail en collégialité, même dans des milieux prônant cette approche et avec des gens ouverts d’esprit.
La gestion participative présente en effet son lot de défis. De longues périodes d’échange et de concertation sont parfois nécessaires avant d’arriver à une décision qui satisfasse plus ou moins tout le monde. Dans certains cas, les personnalités les plus dominantes peuvent exercer un jeu de pouvoir en coulisse pour influer sur les prises de décision dans une apparente collégialité. D’un point de vue féministe, les rapports de pouvoir naturels encore présents entre les genres engendrent bien souvent une prise de parole plus aisée et confiante de la part des hommes alors que les femmes osent généralement moins prendre la parole, même au sein des groupes paritaires et égalitaires.
On constate toutefois que la prise de décision en collégialité est de plus en plus populaire au sein des organisations. Peut-on y voir un signe que la société grandit en maturité?