Par Louis-Serge Gill, juin 2018
Pour certaines personnes, rien de plus banal que l’utilisation d’Internet. Recherches sur la base de données Google, téléversement de documents de travail sur le Cloud de Apple, échanges avec des amis sur Facebook, achats en ligne sur Amazon, et pourquoi pas, des communications par l’entremise de Skype, en partenariat avec Microsoft. Rien de plus banal en somme, jusqu’à ce qu’on s’interroge sur les véritables enjeux de cette utilisation quotidienne des produits des géants surnommés GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). C’est ce que propose le sociologue Philippe de Grosbois dans son essai Les batailles d’Internet : assauts et résistances à l’ère du capitalisme numérique (Écosociété, 2018).
D’emblée, l’auteur met en lumière les conceptions communes et fatalistes sur Internet : il s’agit d’une force extérieure en surplomb de la société qui se comporte comme un espace sans conflit, homogène et stable. Au contraire, nous affirme le sociologue, les espaces d’Internet sont « modelés par des forces sociales, économiques et politiques très concrètes ».
En retraçant l’histoire du réseau, de Grosbois met en relief l’importance des acteurs qui ont contribué et qui participent encore à la vivacité de ces espaces de diffusion de l’information, notamment les hackers. Même si l’image de ces derniers comme des « bidouilleurs » persiste, ce sont des citoyens qui s’impliquent activement dans certaines causes. La mise en commun des données et des sources assure aux journalistes de continuer à dévoiler le pouvoir et tous ses rouages à une époque où les dirigeants tentent l’évitement et l’esquive.
L’essayiste évoque aussi l’enjeu de la surveillance et de la collecte de données personnelles. Si Internet permet aux individus de mieux se découvrir et se connaître, l’ensemble des traces qu’ils laissent sur Facebook, lorsque jumelées à l’algorithme du site, enferme ses usagers « dans les pratiques de leur propre environnement social et culturel ».
Aussi, bien que l’utilisateur moyen stocke des données personnelles sur un « nuage », il importe de réaliser qu’elles sont en fait dans un serveur localisé sur le territoire d’un État. Les changements liés à notre utilisation d’Internet et au monopole des GAFAM résident dans notre conscience de cette matérialité économique, politique, mais aussi environnementale. L’engouement autour du numérique comporte des coûts écologiques importants, entre autres, lorsqu’on s’intéresse à l’hyperconsommation entraînée par l’obsolescence programmée et les nombreux verrous législatifs et techniques qui rendent ardu de connaître le fonctionnement d’un objet. Impossible, donc, de le réparer.
Contrairement à certaines injonctions, par exemple celle de Bernard Émond dans Camarade ferme ton poste (Lux éditeur, 2017), où il est recommandé de se couper de toutes technologies et de se tourner vers la lecture, Philippe de Grosbois préfère que l’on tienne compte des 53% d’analphabètes fonctionnels au Québec. En dépit des nombreux enjeux soulevés par l’utilisation d’Internet, il n’en demeure pas moins un moyen fort, efficace, simple et accessible d’éducation populaire qu’il faut maintenir libre.