Carol-Ann Rouillard, février 2019
Récemment, un professeur d’histoire affirmait que certains faits historiques sont faux dans la pièce SLÀV et qu’ils propagent des mythes d’extrême droite qui contribuent à minimiser le racisme de l’esclavage en Amérique du Nord. Au cours des derniers mois, Melissa Mollen Dupuis, co-fondatrice de Idle No More, s’est exprimée sur différentes tribunes pour parler de la quasi-absence des Autochtones dans les manuels d’histoire et de l’omniprésence de stéréotypes à leur égard.
On pourrait arguer qu’il y a des combats législatifs et sociaux beaucoup plus importants à mener pour ces communautés et que le racisme systémique et les préjugés quotidiens ont des conséquences bien plus graves que ne peuvent l’avoir des manuels scolaires. Ce serait oublier que l’histoire et la mémoire collective sont d’une importance capitale dans le présent de toutes les communautés. Comment peuvent-elles avoir autant d’influence?
D’une part, parce que l’histoire et la mémoire collective contribuent à la reconnaissance de cette communauté aux yeux des autres. Cette reconnaissance passe à la fois par la connaissance du vécu de l’Autre qui se manifeste dans les épreuves et les réussites vécues, mais aussi par le respect qu’on lui porte. Voilà une façon simple de combattre les préjugés à la source!
D’autre part – et ce rôle est à mon avis le plus important – parce que l’histoire joue un rôle dans la façon dont une communauté et les individus qui la composent se reconnaissent. Voilà une façon de donner des outils durables à ces communautés pour qu’elles mènent les combats importants qui s’imposent et pour qu’elles s’unissent, au besoin, aux personnes alliées pour les mener à bien.
L’Histoire est un outil puissant. Elle situe l’être humain dans le temps, par rapport à ce qui s’est passé, oui, mais conditionne aussi un univers de possibilités futures. Raconter l’histoire d’une nation revient à discuter de son importance dans la société actuelle et jette les fondations de la façon dont celle-ci continuera de grandir.
L’histoire d’un peuple confirme son existence et contribue à construire son identité collective. C’est ce qui confirme notre valeur, qui met de l’avant les accomplissements de nos ancêtres et qui nous prouve que l’on peut aussi continuer à bâtir et à faire grandir notre communauté. C’est ce qui nous donne des modèles pour nous accomplir et repousser des barrières.
Mais toutes les histoires ne sont pas perçues comme suffisamment importantes pour être bien racontées ou pour occuper la place qui leur revient dans l’imaginaire collectif.
L’Histoire, comme toutes les sciences sociales – voire toutes les sciences, mais ce n’est pas l’objet de cette chronique – comporte une part de subjectivité. C’est une science qui produit un ensemble de connaissances qui se construisent au fil du temps, qui se transforment et qui évoluent.
Elle est nourrie de courants de recherche, influencés à la fois par l’intérêt et les conceptions des personnes qui la font, par les organismes qui les financent, par les orientations des gouvernements qui choisissent de diriger les programmes d’enseignement d’une façon plutôt que d’une autre, etc. Les contextes sociaux conduisent aussi les gens à s’intéresser à certains aspects plutôt qu’à d’autres : Le Collectif Clio, premier ouvrage qui s’affairait à raconter l’histoire des femmes au Québec, est bien né dans les années 1970, une importante période de revendications féministes. Les concepts de globalisation et de mondialisation, qui témoignent de tendances actuelles, n’étaient assurément pas très présents dans les premiers livres d’histoire.
L’Histoire comporte une part tout à fait normale et essentielle de subjectivité, mais le racisme et un manque d’ouverture à l’Autre sous prétexte que le Nous se voit accorder une importance démesurée ne devraient pas en faire partie.