La Gazette de la Mauricie – La remise en question – avril 2021 

Question du mois : Les aires protégées offrent-elles une véritable protection à long terme pour la biodiversité ou sont-elles soumises à la volonté changeante des décideurs en rotation aux quatre ans ? Pour y répondre, nous avons interpellé des acteurs et actrices du milieu environnemental et du développement durable. 

Cindy Provencher, directrice de la Fondation Trois-Rivières durable

Pour bien répondre à la question, il faut d’abord distinguer les différents types d’aires protégées, mais aussi les moyens utilisés pour faire de la conservation de milieux naturels. Chaque moyen ayant ses avantages et ses limites ; il est donc important de choisir le moyen à privilégier selon la situation. Plusieurs raisons peuvent pousser l’état ou un propriétaire privé à conserver un milieu naturel ; protéger une espèce sensible, préserver la rareté d’un milieu ou encore pouvoir bénéficier de ses services écologiques à long terme.

Les milieux naturels conservés peuvent être de tenure publique ou privée : par exemple, les parcs nationaux sont des aires protégées publiques où il est possible de pratiquer certaines activités récréatives contrôlées. Au niveau des terres publiques, on retrouve également des habitats fauniques tel que des refuges ou des zones protégées spécifiques à une espèce ou à un type d’habitat.

Au niveau du privé, on retrouve des milieux sous conservation volontaire, des réserves naturelles en milieu privé ou encore des milieux protégés par un organisme de conservation des milieux naturels, entre autres.

Alors que certains milieux protégés permettent la pratique d’activités comme la chasse, la coupe de bois ou certaines activités de plein air selon les objectifs de conservation du propriétaire, certains de ces milieux sont plutôt mis sous cloche de verre, c’est-à-dire qu’aucune activité humaine n’y est permise en raison de leur plus grande vulnérabilité.

Dans la plupart des cas, on priorise les actions de conservation à long terme, voire à perpétuité. Bien que certains moyens utilisés pour la conservation soient plus difficiles à renverser, il faut mentionner qu’aucun moyen de conservation n’est infaillible. Effectivement, dans le cas des propriétés privées, les changements de propriétaires ou de la volonté de ceux-ci à conserver le milieu, ou encore les modifications réglementaires ou d’usage peuvent mener à une modification de la protection des milieux. Dans le cas des propriétés publiques protégées, des modifications réglementaires ou des décisions politiques ou économiques pourraient avoir le même impact.

Pour conclure, il est raisonnable de croire que plusieurs outils de conservation des milieux naturels offrent une véritable protection à long terme pour la biodiversité, autant en terres publiques qu’en terres privées. Il faut cependant être conscient des limites de chacun de ces outils, puisqu’aucun d’entre eux ne permet de garantir que les aires protégées ne seront jamais soumises à la volonté des décideurs.

Pier-Olivier Boudreault, directeur de la conservation
Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec)

Il est bien connu que les aires protégées constituent un outil essentiel pour préserver la biodiversité. La protection de la nature représente par ailleurs, selon des études récentes, près du tiers des efforts nécessaires pour atteindre nos cibles de réduction de gaz à effet de serre d’ici 2030. Au cours des quatre dernières décennies, les forêts ont absorbé environ un quart du CO2 émis par les activités humaines.

Mais les aires protégées sont-elles soumises aux aléas politiques? La réponse est oui et non.

Une fois qu’un territoire est reconnu légalement comme une aire protégée au Québec – comme un parc national par exemple – il est à l’abri pour toujours des activités industrielles comme les coupes forestières, l’exploitation minière, gazière et pétrolière ou le développement énergétique. On peut continuer dans la plupart des cas à y pratiquer la chasse, la pêche et d’autres activités liées au développement récréotouristique.

Par contre, la décision de créer une aire protégée est hautement politique.

Les obstructions des ministères

En décembre dernier, le gouvernement du Québec a annoncé que la province passait de 10% à 17% d’aires protégées, un bond énorme et une avancée majeure pour la protection du territoire québécois.

Par contre, en filigrane de cette annonce, de nombreux groupes citoyens et communautés autochtones ont essuyé un dur revers : 83 projets d’aires protégées ont été bloqués, principalement par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP). La raison évoquée par le ministère est « la préoccupation de minimiser les impacts socio-économiques sur les communautés dépendantes de la mise en valeur des forêts » (lire : la foresterie).

Un pont à reconstruire

Le récent reportage de l’émission Enquête sur la gestion de nos forêts a bien démontré le bris de confiance entre la population et le MFFP. Pour rétablir la confiance, le ministère devra mettre de l’eau dans son vin et accepter que d’autres vocations de la forêt soient possibles : le récréotourisme, le maintien des activités traditionnelles autochtones et la conservation de la biodiversité, pour n’en citer que quelques-unes.

Le ministère devra également cesser de planifier des coupes forestières dans des secteurs à l’étude pour devenir des aires protégées. Ici, en Mauricie, un groupe de citoyens travaille activement à protéger le secteur des lacs en Croix et Barnard, adjacent au Parc National de la Mauricie. Pourtant, l’an dernier, le MFFP a planifié des coupes dans ce même secteur…

Il faut à tout prix que ces incohérences cessent et qu’on laisse une véritable place aux citoyens et aux Premières Nations dans la gestion de notre forêt publique.

Geneviève Paul, directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE)

Les aires protégées sont des territoires mis en réserve afin d’assurer la conservation de la biodiversité. La mise en place d’aires protégées et de réserves naturelles est effectivement essentielle pour protéger la biodiversité, et plus largement l’environnement. C’est pourquoi il est important que le gouvernement du Québec respecte son engagement de protection du territoire québécois à hauteur de 30% d’ici 2030.

La Loi sur la conservation du patrimoine naturel, qui encadre la création d’aires protégées, vient tout juste d’être réformée. En plus de prévoir les processus visant à créer des aires protégées et des réserves naturelles, cette loi doit assurer la pérennité de ces statuts de protection en leur donnant un statut de protection permanent. Cela ne veut pas dire qu’il sera impossible de modifier ou de supprimer une aire protégée, mais la loi vient baliser le pouvoir du gouvernement à cet égard. Fait important à noter: si les limites d’une aire protégée sont modifiées, le gouvernement devra s’assurer de compenser cette diminution en assurant la mise en place de mesure de conservation équivalente d’un point de vue biophysique.

Avant que des territoires obtiennent le statut d’aires protégées, le chemin à parcourir est long. Plusieurs ministères, dont le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, le ministère de Forêts de la Faune et des Parcs et le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, doivent approuver un projet d’aires protégées. En l’absence de délais légaux pour qu’une décision soit prise, des projets d’aires protégées peuvent prendre des années avant de se concrétiser. Et durant ce temps, le territoire se transforme et parfois s’altère.

Bien que le cycle électoral et la partisannerie amènent trop souvent son lot d’obstacles qui nuisent à de nécessaires réformes structurelles, d’autres problèmes notamment au niveau du processus de prise de décision nécessitent d’être résolus. L’imposition d’échéanciers stricts à respecter permettrait d’accélérer la désignation d’aires protégées et l’octroi d’une marge de manœuvre suffisante au ministre de l’Environnement lui permettrait de jouer le rôle de chef d’orchestre nécessaire pour assurer une cohérence au sein des différents ministères et afin de ne pas perdre de vue l’urgence d’agir pour assurer la protection de nos écosystèmes.

 

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