Louis-Serge Gill – Regards sur nos patrimoines – Décembre 2020

À juste titre, on s’insurge de plus en plus du devenir du patrimoine bâti du Québec[1], qu’il soit à caractère religieux ou non. Signatures identitaires, découpages de nos espaces publics et de notre histoire, les bâtiments recèlent d’innombrables informations sur nos traditions, de même que nos ambitions passées et actuelles. En revanche, le patrimoine culturel immatériel, que l’UNESCO désigne comme un ensemble de pratiques, d’expressions, de représentations et de compétences transmises de génération en génération, devrait tout autant nous préoccuper en temps de crise.

Les pasteis de nata sont des tartelettes à la crème. Elles font partie de la cuisine traditionnelle du Portugal. 

Le souvenir en fera probablement sourire plusieurs. En mars 2020, alors que le Québec entrait dans un confinement quasi total et prolongé, citoyennes et citoyens vivaient au rythme des points de presse quotidiens des différents paliers de gouvernement. Ce faisant, les fameuses tartelettes portugaises du directeur de la santé publique, Dr Horacio Arruda, occupèrent un certain temps une portion de l’espace médiatique[2].

Si l’on se rapporte à cette anecdote précise, Dr Arruda se promettait alors de consacrer son congé dominical à leur confection. Plus qu’un simple divertissement ou passe-temps, le mets traditionnel portugais a créé un engouement chez les Québécois et illustre bien la destinée du patrimoine culturel immatériel, souvent appelé culture vivante.

Instruire et préserver

La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003) de l’UNESCO place l’idée de transmission au cœur même de sa démarche et de la vision qu’elle soutient. En ce sens, qu’il s’agisse d’une pratique culinaire propre à une culture ou d’un savoir-faire nécessaire au maintien d’un niveau de vie (forge, meunerie, boulangerie, etc.)[3], la particularité d’un patrimoine culturel immatériel réside dans sa transmission de génération en génération sous forme d’un savoir précis, d’un rituel ou encore d’un événement festif.

Par sa convention, l’UNESCO reconnaît également les connaissances et les pratiques concernant la nature et l’univers, les arts du spectacle et la langue. À titre d’exemple, depuis 2010, le repas gastronomique des Français figure dans la convention et l’on reconnaît en ce rassemblement festif de convives où se célèbre le « bien manger » et le « bien boire », une pratique culturelle caractéristique d’une partie de l’Europe occidentale[4].

Frédéric découpant le canard fin XIXe Restaurant La Tour d’Argent – Paris, Anonyme

Des menaces à l’identité et à la communauté

Cet aspect de la culture française reflète bien les deux dimensions essentielles d’une culture vivante : la création d’un sentiment identitaire, à la fois individuel et communautaire, et l’importance de l’environnement pour recréer le patrimoine culturel immatériel. Ce dernier marque souvent les esprits et donne les grands traits d’identification d’un peuple ou d’une nation.

Au même titre que pour le patrimoine bâti, diverses menaces planent sur le patrimoine vivant. Qu’elles soient liées à la santé, à l’économie, à l’environnement à la mondialisation culturelle, à des phénomènes démographiques (baisse de population, par exemple), au développement de nouveaux produits et de nouvelles techniques, les menaces diminuent la dynamique de transmission de savoir-faire propres à une culture, tout en contribuant à l’effritement de l’appartenance communautaire et du sentiment d’accomplissement de soi. En quelque sorte, la sauvegarde d’éléments du patrimoine culturel immatériel constitue autant de petites résistances à l’aliénation ou plus près de nous, à l’américanisation de la culture.

Cultiver le présent

Voilà un grand détour pour revenir à nos tartelettes portugaises.

Si elles ne sont pas répertoriées par l’UNESCO, elles illustrent à merveille l’un des derniers aspects fondamentaux du patrimoine vivant : l’essentiel, voire le plaisir, réside davantage dans le procédé et dans l’acte que dans la manifestation. Après tout, aussitôt sont-elles cuisinées, aussitôt sont-elles envolées, ces petites pâtisseries. Néanmoins, la rencontre, la possible ouverture à l’autre, se joue dans l’instant fugace de l’échange et de la transmission. On s’intéresse, on s’instruit, on apprend, on met en pratique.

S’il y a une leçon à tirer de la fable des tartelettes, c’est cette distinction marquée du domaine du vivant : il se transmet et se partage, certes, mais il s’ancre également dans le présent. Le patrimoine vivant permet de se changer les idées. En quelque sorte, il nous rend conscients de notre caractère éphémère, tout comme de la nature transitoire des crises. Elles surviennent et nous surprennent, mais elles passent.

Dossier : Regards sur nos patrimoines

Sources

[1] Encore tout récemment, les réactions au projet de loi 69 sont vives : https://www.ledevoir.com/politique/quebec/590441/patrimoine-phyllis-lambert-a-du-mal-a-trouver-du-bon-dans-le-projet-de-loi

[2] Nous n’exagérons rien ici. Pour constater l’ampleur du phénomène, nous rappelons à la mémoire du lecteur que des médias ont transmis des recettes de tartelettes portugaises, soit à La Presse (https://www.lapresse.ca/gourmand/recettes/2020-03-19/une-recette-pour-horacio-arruda) et chez TVA (https://www.tvanouvelles.ca/2020/03/19/les-tartelettes-portugaises-du-dr-arruda). Aussi, notons qu’à ce moment, des t-shirts à l’effigie du directeur de santé publique avait même été commercialisés. Philippe Dubois, doctorant en science politique, analysait le phénomène médiatique dans la section libre opinion du Devoir : https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/575607/gestion-de-crise-tartelettes-et-hybridite-mediatique

[3] Le Conseil québécois pour le patrimoine vivant (CQPV) propose des publications étoffées et intéressantes sur ces différents savoir-faire. Le CQPV axe ses interventions autour des traditions dites populaires : traditions orales, danse, savoirs alimentaires et de subsistance. Leur site internet : https://www.patrimoinevivant.qc.ca/

[4] https://ich.unesco.org/fr/RL/le-repas-gastronomique-des-francais-00437

 

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