
Jean-Claude Landry – Dossier spécial: Se refaire une santé – mai 2020
Qui a eu recours à notre service de santé sait à quel point on y trouve un personnel engagé, compétent et dévoué. Et pourtant… Pourtant, notre système de santé traverse des crises. Crise des urgences, crise de la DPJ, et maintenant crise des CHSLD…
Entendre parler des problèmes du réseau de la santé, c’est entendre habituellement l’expression « pas assez ». Pas assez de ressources, pas assez d’argent, pas assez d’équipements, pas assez de personnel, etc. Mais l’expression contraire, « trop » s’entend de plus en plus souvent dans le discours public. Trop gros, trop industriel, trop centralisé.
Trop gros…
« Plus une structure institutionnelle publique est grosse, plus elle a besoin de temps pour réagir » affirmait Mme Natalie Stake-Doucet, présidente de l’Association québécoise des infirmières et infirmiers, dans une entrevue accordée à Radio-Canada.
Les CIUSSS et CISSS, dit-on, rencontreraient d’importantes difficultés de communications. Répondant à une enquête réalisée en 2018 par le RÉCIFS, un regroupement de personnes qui exercent la profession d’intervenantes sociales, une intervenante témoignait des difficultés de communications vécues à l’intérieur des établissements. « Il faut toujours faire plus avec moins. Beaucoup de travail de bureau. La méga structure du CIUSSS fait qu’on perd un temps fou à chercher le bon formulaire ou la bonne personne à qui l’acheminer ».
Difficultés de communications à l’externe également comme en témoigne une initiative du Conseil de la protection des malades. Celle d’offrir, au coût de 49,95 $ par année, un service de référence et d’information pour « s’y retrouver » dans le système de santé. Un service offert gratuitement et, en principe, accessible dans le réseau de la santé et des services sociaux.
Développer et maintenir, chez les membres du personnel un sentiment d’appartenance constituerait un autre défi de ce qu’on appelle dorénavant des méga-établissements. « Je ne sens aucune reconnaissance de mon employeur où je suis devenue un matricule d’employé et que je me fonds dans une masse de 15 000 employés dans mon CIUSSS » dira une autre participante à l’enquête du RÉCIFS.
Trop industriel…
« L’approche LEAN nous donne l’impression de travailler au sein d’une usine avec des machines, mais nous intervenons auprès d’humains en détresse et chaque cas est différent, ce n’est pas un travail à la chaîne… ». Voilà comment une intervenante sociale qualifiait son travail lors l’enquête du RÉCIFS visant à évaluer l’impact d’une approche de gestion empruntée à l’industrie, dite Nouvelle Gestion Publique (NGP). Mise en place vers la fin des années 90 et appliquée depuis à l’ensemble du réseau, on dit de la NGP, aussi appelée la méthode Toyota, qu’elle tient en un mot et une image : productivité et chronomètre. Tout est minuté. Parler à la personne, prendre le temps de comprendre ses besoins, la rassurer, expliquer correctement à la famille le choix de l’intervention, seraient devenus secondaires. Priorité aux statistiques rendant compte du nombre de personnes vues dans les temps fixés et du nombre d’actes réalisés.
Illustration de cette situation, les résultats d’une enquête menée en 2018 auprès de 8500 préposés aux bénéficiaires révélaient un niveau de détresse élevé chez 74 % des répondants alors que ce niveau se limite à 18 % ailleurs sur le marché du travail. Et 90 % des personnes interrogées se disaient continuellement sous pression en raison de leur charge de travail.

Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (CHRTR) – crédits photo: Dominic Bérubé
Trop centralisé…
« Les réformes Couillard et Barrette ont été le cimetière de la participation et de l’implication citoyennes » déclarait récemment Mme Louise Harel, plusieurs fois ministre sous différents gouvernements du Parti Québécois et porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé et services sociaux. Il semble toutefois que « le ver était déjà dans la pomme », les réformes Couillard et Barrette s’inscrivant dans un processus amorcé dès le milieu des années 90, sous la gouverne d’un précédent gouvernement, avec la fusion des CLSC et des CHSLD sous un seul et même conseil d’administration. Bien avant la réforme Barrette, soit entre 1990 et 2009, le nombre d’établissements avait été réduit de plus des deux tiers.
En Mauricie, dans le seul territoire socio-sanitaire Vallée de la Batiscan, regroupant la MRC de Mékinac et la MRC des Chenaux, entre 1990 et 2000, six établissements (4 CHSLD et 2 CLSC) ont été fusionnés en un seul. Six conseils d’administration abolis au profit d’un seul. La réforme Barette aura, en quelque sorte, cloué le cercueil d’un largage de la participation citoyenne amorcé 20 ans plus tôt.
Remise à plat réclamée
Un tel état de situation a amené deux cents chercheurs et professionnels du domaine de la santé à réclamer en décembre dernier une commission d’enquête publique pour évaluer l’impact de l’approche industrielle sur les intervenants et sur les soins de santé et les services sociaux à la population. Ces chercheurs et professionnels sont aujourd’hui rejoints par un nombre croissant de personnes et d’organismes qui, prenant acte des écueils actuels, appellent une profonde révision du mode de gestion du réseau de la santé. Objectifs recherchés : rapprocher les lieux de décision des lieux d’intervention et réintégrer les communautés locales dans la gouvernance de nos établissements de santé.
Vaste chantier en perspective.
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