En consultant les archives des sessions hebdomadaires de la paix sur la petite criminalité, on recense une diversité d’individus interpellés. Ces derniers diffèrent selon leur âge, leur état civil, leur profession ou leur provenance. Il est donc impossible d’établir un portrait précis de l’accusé. Ces caractéristiques nous donnent toutefois une vision globale du phénomène de la petite criminalité à Trois-Rivières au courant de la seconde moitié du XIXe siècle[1].
Les archives nous informent que la majorité des individus arrêtés durant ladite période sont des hommes avec 91,2% des accusés. Ils sont donc responsables de la plupart des différents délits recensés : ivresse, assaut, vagabondage, désordre, prostitution, pour ne nommer qu’eux[2]. De leur côté, les femmes « occupent une place infime au sein des différents niveaux de la justice criminelle. […] À Trois-Rivières, elles représentent de 3,9% à 17,2% des défendeurs pour les années étudiées, ce qui fait tout de même une moyenne de 8,8% ».
Ce faisant, peu importe le genre de l’individu, ils étaient tous « susceptibles de contrevenir un jour ou l’autre aux règlements municipaux »[3]. Cela dit, attardons-nous maintenant sur les principales professions des accusés.
Professions à risque
Pierre-Marie Huet classe les principales professions sous six catégories : les journaliers (35,9%), les métiers de la construction (8,2%), les cultivateurs (6,4%), les métiers liés à l’exploitation forestière (5,9%), les charretiers (5,4%) et toutes les autres professions et occupations – par exemple les matelots, les aubergistes, les commerçants, etc. – sont classés dans la catégorie « autres » (38,2%).[4]
Comme vous pouvez le constater, les journaliers sont les plus susceptibles de ne pas respecter les règlements municipaux, puisqu’ils n’ont pas d’occupation fixe ou attitrée. Ils sont majoritairement arrêtés pour « ivresse sur une rue publique, et dans une moindre mesure pour désordre »[5].
Entre 1850 et 1900, un changement s’opère chez les journaliers. Ils sont « de moins en moins nombreux parmi les délinquants arrêtés ». Cependant, cette baisse s’accompagne d’une croissance de la représentation des charretiers et des métiers liés à l’exploitation forestière[6]. Or, « l’évolution du taux de petite criminalité en ce qui concerne ces derniers marque l’expansion de l’exploitation forestière en Mauricie, et le passage en ville d’un nombre apparemment de plus en plus important de voyageurs et hommes de chantier ».[7] Cela s’explique en partie par le fait que les voyageurs et les travailleurs faisaient une halte à Trois-Rivières, majoritairement à l’été, pour se rendre dans les chantiers ou pour y revenir.
Le cas des charretiers
Parallèlement, certains charretiers contrevenaient aux règlements municipaux dans le cadre de leur activité professionnelle. Selon Huet, « beaucoup d’entre eux se faisaient arrêter en état d’ivresse alors qu’ils conduisaient leur voiture à cheval à un train immodéré dans plusieurs rues de la ville […] »[8].
C’est le cas d’un dénommé Sauvageau, 20 ans, charretier de Trois-Rivières, qui est arrêté pour ivresse sur une rue publique, « dans une carriole tirée par une jument qu’il conduisait à un train immodéré au galop de course, criant, jurant et sacrant »[9]. Ce n’est pas le raccompagnement le plus fiable et sécuritaire que l’on puisse trouver!
Certains continuaient même « d’exercer alors qu’ils n’avaient pas ou plus de licence ». Il faut également mentionner que certains charretiers « entretenaient des rapports conflictuels avec la police auxquels [sic] ils désobéissaient » sans scrupule et qui n’avait aucun effet sur leur comportement et conduite[10]. Les archives municipales relèvent également plusieurs plaintes contre les agissements des charretiers. Certains d’entre eux « abusaient de la clientèle nouvellement arrivée en ville qui requérait leurs services à partir de la gare ». Par exemple, un charretier a été mis en cause pour être « dans l’habitude de solliciter les jeunes gens pour les conduire aux maisons malfamées […], et les y faire rencontrer et de leur faire commettre le crime avec des prostituées ». Et le tout, en bénéficiant d’un revenu supplémentaire[11].
Dans le contexte industriel de la seconde moitié du XIXe siècle, la diversité des travailleurs-voyageurs qui vont transiter par Trois-Rivières va dynamiser le corps social tout en apportant son lot de comportements déviants. La croissance de l’exploitation forestière et son caractère saisonnier aura également un impact considérable sur les comportements des travailleurs de chantier. On constate que les hommes sont les plus susceptibles de contrevenir aux règlements municipaux. L’ivresse est, autant pour les hommes que pour les femmes, la déviance la plus fréquemment recensée entre 1850 et 1900.
En présentant les principaux délits, lieux et acteurs liés à la petite criminalité, il nous est possible d’exposer certains aspects de la vie quotidienne et nous projeter dans le Trois-Rivières du XIXe siècle.
Sources
[1] Pierre-Marie Huet. Ordre social et police à Trois-Rivières, 1850-1900, Mémoire de maîtrise sous la direction d’Alain Croix, juin 1997, p. 105 et 123; Base de données en histoire de la Mauricie (CIEQ), [En ligne] https://mauricie.cieq.ca/ (page consultée le 12 décembre 2022).
[2] Pierre-Marie Huet, Op.cit., p. 106.
[3] Pierre-Marie Huet, Op.cit., p. 123.
[4] Pierre-Marie Huet, Op.cit., p. 115 ; Voir aussi l’annexe 13, Répartition des accusés selon leur profession, 1856-1900, p.171.
[5] Pierre-Marie Huet, Op.cit., p. 115-116.
[6] Les métiers liés à l’exploitation forestière recensés pour ces trois années 1856, 1861 et 1866 (2,4%), pour les années 1871, 1876 et 1881 (5,2%), pour les années 1886, 1891, 1896 et 1900 (7,9%).
[7] Pierre-Marie Huet, Op.cit., p. 117.
[8] Pierre-Marie Huet, Op.cit., p. 116.
[9] BAnQ, Cour « Petites sessions de la Paix » / « Weekly and Petty Sessions of the Peace », Trois-Rivières, 1856-1900, 17 mars 1891 : 7081.
[10] Pierre-Marie Huet, Op.cit., p. 116.
[11] Pierre-Marie Huet, Op.cit., p. 116-117; Marie-Joëlle Côté. Le commerce du sexe en Mauricie, 1850-1916 : pratiques sociales et répression étatique. Mémoire. Trois-Rivières, Université du Québec à Trois-Rivières, 2013, p. 47.