paradis fiscaux chronique
Les paradis fiscaux feraient détourner 1200 milliards de dollars de profits par année. Photo : Dominic Bérubé

Alors que nos gouvernements peinent à combler les besoins en éducation, en santé et en services sociaux, le monde est aux prises avec la plus grande fraude fiscale jamais vue dans l’histoire. En effet, plusieurs centaines de milliers d’entreprises et d’individus détournent chaque année des centaines de milliards de dollars vers les paradis fiscaux, privant nos gouvernements de revenus très importants. À quand la fin des paradis fiscaux ?    

Un paradis fiscal est un territoire où l’impôt est quasiment nul et qui garantit aux fraudeurs le secret sur leurs transactions financières, en plus d’offrir une facilité déconcertante pour les entreprises d’y installer des filiales fictives pour y pratiquer ce que les 250 000 spécialistes des grands cabinets-conseils (1) appellent l’optimisation fiscale. 

La grande évasion fiscale

Selon les plus récentes données, les entreprises déplacent 1 200 milliards de dollars de profits par année dans les paradis fiscaux. En conséquence, les montants accumulés s’élèvent à 10 000 milliards de dollars, soit l’équivalent de 11 % de toute la richesse mondiale créée chaque année.  

Il va sans dire que ces capitaux cachés privent nos gouvernements de revenus importants. Tax Justice Network évalue les pertes d’impôts à 483 milliards de dollars au niveau mondial par année. Au Canada, les pertes sont évaluées entre 23 milliards de dollars par année par l’Agence de revenu du Canada et  25 milliards par le Directeur parlementaire du budget (2).

Les stratégies d’évitement fiscal

Les stratégies d’évitement fiscal proposées par les cabinets-conseils reposent sur la création de filiales fictives dans des paradis fiscaux dans le but d’y transférer des profits. En 2016, les  Panama Papers  révélaient que le cabinet-conseil Mossack Fonseca avait créé 214 000 filiales fictives destinées à dissimuler les profits de leurs clients. 

La stratégie est relativement simple. Prenons l’exemple de Google qui a vendu ses licences d’algorithmes à faible prix à sa filiale Google Holdings enregistrée aux Bermudes, laquelle les a ensuite revendues à Google à un prix très élevé, de sorte que les profits sont déclarés aux Bermudes. 

Les solutions

Alors que l’OCDE a entrepris une démarche visant à mettre du sable dans l’engrenage des paradis fiscaux, deux grands experts, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman (3), ont proposé un plan visant à éradiquer les paradis fiscaux. Ils proposent que tous les pays s’entendent pour taxer les profits de leurs entreprises nationales à hauteur de 25 %, peu importe où celles-ci déclarent leurs profits. Par exemple, si une entreprise ne payait que 2 % d’impôt à l’île Jersey, son gouvernement pourrait collecter les 23 % manquants. Avec une telle entente internationale, plus aucune entreprise n’aurait intérêt à déclarer ses profits dans un paradis fiscal, car l’économie d’impôt serait entièrement annulée par la différence d’impôt prélevé par le pays d’origine.

En 2021, l’OCDE a rallié 136 pays à une proposition semblable mais moins contraignante, laquelle devrait entrer en vigueur en 2023 ou 2024. L’entente repose sur deux piliers. Le premier prévoit un impôt mondial de 15 % aux entreprises qui ont un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions de dollars. Ainsi, une entreprise paierait moins de 15 % d’impôts dans un pays étranger (où elle a des filiales), son pays d’origine taxerait la différence. Le deuxième pilier prévoit un impôt de 25 % pour les 100 plus grandes multinationales qui ont un chiffre d’affaires supérieur à 20 milliards de dollars et dont le taux de profit est supérieur à 10 %. Dans le cas d’une entreprise qui aurait un taux de profit de 15 % (15 milliards $ de profit sur un chiffre d’affaires de 100 milliards $), elle serait taxée à 25 % sur l’excédent de profit de 5 milliards, soit un prélèvement de 1,25 milliard $ d’impôt qui serait distribué dans les pays où elle a une activité commerciale. Au total, ces deux mesures devraient rapporter chaque année 220 milliards $ aux gouvernements concernés, dont 5 milliards $ au Canada.

Les solutions existent donc, reste la volonté politique de les rendre opérationnelles.

 

Sources 

(1) Deloitte, Ernst & Young, KPMG et PricewaterhouseCoopers.

(2) Agence de revenu du Canada : 23 milliards $, Directeur parlement

(3) Emmanuel Saez, Gabriel Zucman, Le triomphe de l’injustice, Seuil, 2020.

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