Alain Dumas, novembre 2018
Alors que le paiement électronique est accessible presque partout, certains se demandent quelle est l’utilité de l’argent liquide. Les banques voient d’un bon œil la fin de l’argent liquide, car cela permettrait d’en finir avec les succursales et les distributeurs de billets (guichets automatiques) qu’elles jugent coûteux[1]. Desjardins prévoit même fermer tous ses guichets automatiques d’ici dix ans. L’argent liquide devrait donc entièrement céder sa place aux transactions électroniques, que ce soit par carte de débit ou de crédit, ou toutes autres formes de paiement électronique. Qu’en est-il au juste ?
À l’heure actuelle, 85 % des achats se font en argent liquide dans le monde, car la moitié de la population mondiale ne possède pas de comptes bancaires et n’a pas accès à internet. Les populations sont partagées sur la préférence des modes de paiement. Les Allemands, les Japonais et les Suisses préfèrent l’argent liquide dans une proportion de 70 %. À l’inverse, les scandinaves sont devenus les plus grands adeptes du paiement électronique; les Suédois règlent à peine 5 % de leurs achats en argent comptant. Au Québec, on se situe entre ces deux extrêmes, mais les paiements par cartes de crédit et cartes prépayés sont en nette progression, avec plus du tiers des transactions.
Le pour et le contre
Le principal argument en faveur de la suppression de l’argent liquide est son coût élevé, nous dit-on. La Banque du Canada doit par exemple assumer les coûts de fabrication des billets et des pièces. S’ajoutent les coûts de transport de l’argent liquide vers les banques commerciales, lesquelles supportent les coûts de distribution des billets à leurs clients (via les succursales et les guichets automatiques). Pour les commerçants et les consommateurs, ces coûts se calculent en temps et en frais de retrait bancaire.
Certains affirment que l’élimination de l’argent liquide permettrait d’éliminer l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent. D’autres rétorquent que la fin de l’argent liquide n’empêchera pas les fraudeurs et les réseaux criminels de prospérer, car ils pourront toujours utiliser les transferts électroniques cryptés via les paradis fiscaux. D’autres voient dans le maintien de l’argent liquide un moyen sûr de faire des transactions en cas de panne informatique ou d’imprévu, raison pour laquelle les Canadiens conservent en moyenne 85 $ en argent liquide à la maison.
Là où la fin de l’argent est la plus redoutée, c’est qu’elle permettrait aux banques centrales d’appliquer des taux d’intérêt négatifs, pénalisant les ménages qui détiennent une épargne dans un compte bancaire. Aujourd’hui, une telle éventualité n’inquiète personne, car il suffirait de retirer son argent des banques. Or, la suppression de l’argent liquide permettrait d’éviter cet écueil, car la monnaie resterait prisonnière des banques.
L’autre source d’inquiétude concerne les traces de la vie privée que laissent les transactions électroniques. L’entrée en scène des géants du numérique, appelés GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple), dans le service du paiement électronique a de quoi inquiéter. On se rappellera de l’affaire Cambridge Analytica, cette entreprise d’influence politique qui avait réussi à récupérer les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs de Facebook sans leur consentement. Que l’on soit pour ou contre la fin de l’argent liquide, une question demeure : ne risque-t-elle pas d’exclure certaines catégories de personnes qui n’ont pas accès à internet, ou qui éprouvent des difficultés à accéder aux modes de paiement électronique ? Pourquoi ne pas laisser le choix aux gens de choisir librement leur mode de paiement ?
*****
[1] En 2016, la Banque Nationale était la première banque canadienne à se prononcer pour la disparition de l’argent liquide. Lors du Forum de Davos en 2016, John Cryan, PDG de la Deutsche Bank prédisait la disparition de l’argent liquide en 2027, qu’il juge inutile, inefficace et cher.