Selon ce que nous apprenait Radio-Canada à l’émission Enquête du 2 mars dernier [1], la firme d’experts comptables KPMG aurait vendu des services d’évasion fiscale à de riches Canadiens. Si ces combines ont permis de cacher d’importants montants d’argent dans des entreprises fictives créées dans le paradis fiscal de l’Île de Man, elles seraient criminelles, puisqu’un client de KPMG révélait l’intention du cabinet conseil de cacher sa fortune et les revenus qu’il en tire.
On ne le dira jamais assez, les paradis fiscaux coûtent très cher à la société. Ils privent les pays riches de revenus fiscaux de 1300 milliards $ par année [2], soit 3 % du PIB, ce qui représente 60 milliards $ pour le Canada. Avec de tels montants, nous pourrions dire adieu à nos déficits publics et à l’austérité, et du coup, à l’injustice fiscale.
Les révélations de l’émission Enquête ne sont pas nouvelles. Dans la foulée des Panama Papers l’an dernier, on apprenait que le cabinet conseil Mossack Fonseca avait créé 214 000 sociétés-écrans (compagnies fictives) dans les paradis fiscaux pour cacher l’argent de riches individus et d’entreprises, et que 860 millions $ avaient été transférés du Canada vers l’Île de Man par 350 individus et 400 entreprises.
Ce qui est nouveau dans le reportage d’Enquête, c’est de constater la clémence avec laquelle l’Agence du Revenu du Canada a traité les fraudeurs, puisque celle-ci leur a offert une amnistie, c’est-à-dire une entente à l’amiable de remboursement des impôts impayés sans intérêts, sans pénalités et sans poursuites judiciaires. Et fait étonnant, cette entente a été négociée par KPMG. Ces révélations montrent donc clairement le rôle d’entremetteurs des cabinets conseils dans l’évasion fiscale.
Les entremetteurs
KPMG est l’un des quatre plus importants cabinets d’experts-comptables au monde avec un chiffre d’affaires de 33 milliards $. Les trois autres sont Deloitte, PricewaterhouseCoopers et Ernst & Young. Présentes dans presque tous les pays et les paradis fiscaux, ces grandes firmes ont la cote auprès des riches et des multinationales qui souhaitent se soustraire à l’impôt. Selon un rapport des comptes publics en Angleterre, les services d’arrangements fiscaux rapportent le quart du chiffre d’affaires de ces quatre grands cabinets [3].
Dans le scandale des ententes secrètes entre le gouvernement du Luxembourg et des multinationales (Luxleaks), des journalistes, qui ont eu accès aux documents secrets, ont clairement montré que les quatre grands cabinets conseils étaient au centre des accords qui avaient permis d’obtenir une baisse substantielle de leur taux d’imposition.
Si le rôle premier de ces grands cabinets d’experts-comptables consiste à vérifier la conformité des comptes de ces multinationales (comme la loi le prescrit), il est étonnant que ces mêmes cabinets vendent des services d’évasion fiscale à ces mêmes clients.
Pour preuve que ces arrangements sont parfois illégaux, KMPG et Ernst & Young ont été condamnés par la justice américaine à verser des amendes respectives de 456 millions $ et 123 millions $ en 2013, pour avoir vendu des services fiscaux à de riches clients qui avaient ainsi pu détourner des milliards $ dans des paradis fiscaux.
Mettre fin aux paradis fiscaux
À la lumière de toutes ces informations, nos gouvernements ne peuvent plus se défendre d’être impuissants dans la lutte contre les paradis fiscaux. Ils doivent forcer les entreprises à divulguer leurs chiffres d’affaires pays par pays, de manière à les imposer selon leur juste part. Nos gouvernements doivent aussi cesser d’offrir des amnisties aux fraudeurs d’impôts et les poursuivre en justice, de même que les cabinets d’experts-comptables qui les conseillent, comme cela se fait aux États-Unis. Enfin, puisque les amendes n’effraient pas les riches fraudeurs, on doit prévoir des peines d’emprisonnement pour les fraudeurs reconnus coupables.
Sources :
[1] Les intouchables : KPMG a caché l’argent de riches clients, Reportage de Frédéric Zalac d’Enquête et Harvey Cashore de CBC, Enquête, Radio-Canada, 2 mars 2017.
[1]James Henry, The price of offshore revisited, Tax Justice Network, July 2012.
[1] House of Commons Committee of Public Accounts (London), Tax avoidance: the role of large accountancy firms, Forty-fourth Report of Session 2012–13.