Le 14 octobre 2023, à l’âge de 84 ans, est décédé Guy Latraverse, considéré par plusieurs comme l’un des principaux bâtisseurs de l’industrie québécoise de la musique et du spectacle. Afin de mieux comprendre son héritage, voici un bref survol de sa longue et parfois tumultueuse carrière.

Dans la première moitié du XXe siècle, le marché du spectacle à Montréal et, par extension, les salles de spectacle, sont contrôlés par les Canadien-nes anglais-es, les Français-es et les Étatsunien-nes, selon Daniel Lemay. Les Québécois-es (ou les Canadien-nes français-es) ne décident pas dans leur propre patrie. C’est avec le premier véritable imprésario québécois, Guy Latraverse, que tout change. Né à Chicoutimi le 5 juillet 1939, Latraverse devient le gérant du pianiste et auteur-compositeur-interprète Claude Léveillée (1932-2011) dès 1962. L’année suivante, sa première production officielle est de le présenter à l’auditorium montréalais Le Plateau.

À peine âgé de 25 ans au début de la Révolution tranquille, Latraverse organise aussi en 1964 la première grande tournée d’un chanteur québécois, Jean-Pierre Ferland (né en 1934). La même année, il devient le premier producteur à présenter des tournées d’envergure avec un artiste étranger, le français Guy Béart (1930-2015), dans les petites villes du Québec, puis il permet à Léveillée d’être le premier Québécois à offrir un spectacle à la Place des Arts, la première véritable salle de concert de calibre international, inaugurée le 21 septembre 1963, à Montréal.

Ayant connu Yvon Deschamps et Robert Charlebois chez Paul Buissonneau (1926-2014), lors de la fondation du Théâtre de Quat’Sous en 1964, Latraverse produit le célèbre spectacle L’Osstidcho King Size (1968) en tournée qui révolutionne la musique québécoise, ainsi que L’Osstidcho meurt (1969) à la Place des Arts. Il devient alors l’agent de Charlebois et d’Yvon Deschamps.

Les grands rassemblements populaires

Du 13 au 24 août 1974 a lieu à Québec le Festival international de la jeunesse francophone, ou SuperFrancoFête, qui rassemble plus de 100 000 personnes provenant de 25 pays. L’organisation du concert d’ouverture, J’ai vu le loup, le renard, le lion, est confiée à Guy Latraverse comme producteur à la scène. Il produit aussi l’excellent disque de ce concert mémorable qui attire plus de 100 000 personnes sur les Plaines d’Abraham. Il réunit les trois géants de la chanson : Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois.  Après l’Expo 67, à Montréal, cet évènement est le premier spectacle d’envergure internationale à se tenir dans la ville de Québec.

Le 24 juin 1975, il produit le méga-spectacle de la Saint-Jean sur le mont Royal et, l’année suivante, le spectacle Une fois cinq avec Gilles Vigneault, Claude Léveillée, Jean-Pierre Ferland, Yvon Deschamps et Robert Charlebois, qui est présenté le 21 juin 1976 au parc du Bois-de-Coulonge, à Québec, devant plus de 150 000 personnes, et deux jours plus tard devant plus de 300 000 personnes à Montréal.

L’ami des artistes du Québec

En 1978, avec d’autres acteurs de l’industrie artistique, il collabore à la fondation de l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ), qui a été à l’époque un déclencheur de l’effervescence de la musique québécoise. Non seulement Guy Latraverse est le père du premier gala de l’ADISQ, en 1979, mais c’est aussi lui qui convainc Félix Leclerc (1914-1988), considéré comme le père de la chanson québécoise, de donner son nom aux trophées remis à cette occasion. Lors de la première édition, Guy reçoit le Félix du producteur de spectacles de l’année alors que Félix Leclerc reçoit le premier Félix hommage.

Alors qu’Offenbach est devenu le premier groupe québécois à se produire en tête d’affiche au Forum de Montréal le 3 avril 1980 devant une foule de 10 000 personnes, Guy Latraverse y présente le 8 décembre 1980 Diane Dufresne, la première artiste québécoise en solo à cet endroit mythique, devant environ 11 000 personnes. En 1984, avec le spectacle Magie rose, toujours en collaboration avec Latraverse, elle devient la première Québécoise à se produire en solo au Stade olympique, devant plus de 55 000 spectateurs.

En 1985, alors qu’il fonde les Productions Samedi de rire avec Yvon Deschamps et Rénald Paré, Guy Latraverse est hospitalisé et reçoit un diagnostic de trouble bipolaire. Par la suite, il se consacre à la production télévisuelle en partenariat avec Sogestalt 2001 et plusieurs organisations. Après avoir reçu le Félix hommage de l’ADISQ, en 1988, il fonde en 1989 les FrancoFolies de Montréal avec Alain Simard, du Festival international de jazz de Montréal, et Jean-Louis Foulquier.

En 1994, il aide à mettre sur pied la Soirée des Masques afin d’honorer les meilleurs comédien-nes, metteur-es en scène et producteur-trices, tout comme il collabore à la production des cinq premières éditions du Gala des Oliviers (1998), pour les humoristes, suggéré par l’agent Stéphane Ferland, et des Jutra (1999), un gala de prix pour le cinéma, mené par le producteur Roger Frappier et le comédien Michel Côté.

En conclusion, l’héritage de Guy Latraverse se fera sentir pour encore pendant plusieurs décennies, et ses réalisations devront être inscrites dans les livres sur l’histoire musicale du Québec. De nombreux-ses artistes important-es du Québec ont une dette à son égard, tout comme la société québécoise dans son ensemble.

Illustration : Jocelyn Jalette

 

Jean-François Veilleux
Détenteur d’une maîtrise en philosophie (esthétique musicale), mémoire disponible :

Ph. D. en histoire (études québécoises) à l’UQTR sur l’histoire des festivals au Québec, conférence disponible :

Auteur des livres  “Les Patriotes de 1837-38 en Mauricie et au Centre du Québec” (2015, 292 p.) et “Omer Héroux, le patriarche du journalisme au Canada français” (Éditions du Québécois, 2022, 304 p.), co-écrit avec Francis Bergeron. Pour lire mes chroniques d’histoire, c’est par ici :

 

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