francis bergeron histoire

Le soir du 5 août 1876, Joseph Bilodeau, 55 ans, charpentier de Québec, est arrêté par le chef de police trifluvien Antoine Chevalier pour avoir « été ivre et couché sur le quai public, à savoir le quai de l’hôtel de Thomas Buckmaster Trickey ». Bilodeau déclare en plaidoirie : « J’avais pris rien que deux verres de bière. Je m’en vais à Montréal. Je vous promets que je ne reviendrai pas. » Il est renvoyé sans procès, après un avertissement. Voilà un exemple typique d’un délit associé à la petite criminalité à Trois-Rivières.

Qu’est-ce la petite criminalité ?

La petite criminalité est « une notion assez subjective, qui peut varier selon les époques, les pays, et même d’une ville à l’autre. On attribue cela aux différences culturelles des sociétés, à leurs sensibilités et à leurs préoccupations ». Grosso modo, la petite criminalité englobe les délits qui contreviennent aux règlements et aux lois municipaux. En ce sens, les infractions au Code criminel comme les meurtres ou les vols d’envergure n’entrent pas dans cette notion.

Mais qu’entend-on par délit ?

Il s’agit de comportements de délinquance. Ces comportements déviants sont très fréquents et variés. Dans les centres urbains industriels, comme Trois-Rivières ou Montréal, il se développe une population dite déviante et délinquante provenant majoritairement du prolétariat. La déviance signifie « s’écarter du droit chemin, d’un principe ou d’une règle ». Quant au terme délinquance, il a pour sens « commettre une faute » et constitue la déviance d’une norme particulière.

Selon Pierre-Marie Huet, « on ne dénombre pas moins de cinquante sortes de délits différents » à Trois-Rivières sur une période de cinquante ans, soit de 1850 à 1900. Il n’était donc pas étonnant de voir de l’ivresse, du vagabondage, du désordre, des assauts et de la prostitution dans les rues de la cité, puisque ces comportements étaient bien ancrés dans les mœurs de l’époque. Or, certains lieux sont prédisposés à ce type de délit.

Les lieux de la petite criminalité à Trois-Rivières

La majorité des délits recensés entre 1850 et 1900 se produisait dans le centre-ville actuel, et souvent même directement dans les rues de ce secteur. La plus concernée « est sans aucune mesure la rue des Forges, à laquelle on adjoint la rue du Platon qui la relie au fleuve ». Voici donc, en ordre décroissant, les rues où se sont commis le plus de délits durant ladite période : la rue Notre-Dame, la rue ou le chemin Sainte-Marguerite – la seule avant 1879 se trouvant à l’extérieur du centre-ville –, la rue du Fleuve, la rue Badeaux et la rue Bonaventure.

Après la construction du chemin de fer inauguré en 1878, la rue Champflour s’ajoute aux principales rues « criminelles », car elle devient rapidement une rue de passage important (1). De fait, l’Hôtel du Canada, situé dans cette rue, attirait de nombreux voyageurs qui faisaient halte à la gare du Canadien Pacifique, mais aussi certains ivrognes qui faisaient la tournée des hôtels et auberges de la ville. On y trouvait aussi des prostituées à la recherche de clients, ainsi que des quêteux et des vagabonds qui rôdaient et qui embêtaient les voyageurs paisibles.

Lire aussi : Les jeux vidéo d’arcade : Lieux par excellence de la délinquance juvénile?

On note également des délits à l’intérieur des établissements à débit de boissons, comme les auberges et les hôtels. Les désordres tels que les bagarres, le tapage, l’ivrognerie et les insultes étaient monnaie courante dans ces établissements. Dans ces conditions, la police se rendait sur place sans hésitation, parfois sous la requête de clients mécontents ou directement à la demande des propriétaires. Ces établissements, qui étaient pour la plupart situés près du port, étaient assaillis, principalement l’été, par les voyageurs, les matelots et les travailleurs saisonniers qui souhaitaient assouvir leur soif, ce qui menait à des désordres de toutes sortes.

Le marché aux denrées constitue un autre lieu où on a recensé une variété de délits, aussi bien liés à l’ivresse qu’à la vente illégale de produits, et même des larcins associés aux jeux de hasard sur la place publique. Ce marché étant un lieu achalandé, bruyant et animé, il n’était pas rare que les policiers se rendent sur place pour des infractions comme l’insulte entre vendeurs et acheteurs, pour des commerçants qui « vendaient des produits en dehors des horaires légaux ou pour ceux qui vendaient des produits sans avoir payé la taxe municipale ».

Enfin, et sans étonnement, les parcs publics figurent également dans la liste des lieux de prédilection pour des délits comme l’ivresse, le vagabondage, la prostitution, mais aussi l’exhibitionnisme. En somme, on enregistre ces principaux délits partout sur le territoire du district judiciaire de Trois-Rivières. Heureusement, seulement certains individus sont plus à risque de contrevenir aux règles établies que l’ensemble des citoyens.

 

(1)  La rue Champflour est construite en 1879, l’année même de l’inauguration de la gare.

Bibliographie

Sources premières

Bibliothèque et Archives Nationales du Québec à Trois-Rivières.

Cour des Sessions hebdomadaires de la Paix (1856-1900) : Cour « Petites sessions de la Paix » / « Weekly and Petty Sessions of the Peace », Trois-Rivières, 1856-1900, 7 août 1876 : 4214.

 

Bases de données numériques

Mauricie bases de données en histoire générale, Centre interuniversitaire en Études québécoises (CIEQ), La petite criminalité, [En ligne] https://mauricie.cieq.ca/.

 

Mémoires de maîtrise

HUET, Pierre-Marie. Ordre social et police à Trois-Rivières, 1850-1900, mémoire de maîtrise sous la direction d’Alain Croix, juin 1997, 172 p.

 

Articles en ligne

ROBERT, Philippe, directeur de recherche au C.N.R.S, « Déviance, sociologie », [En ligne], Encyclopédie Universalis, (page consultée le 2 octobre 2022).

ROBERT Philippe, directeur de recherche au C.N.R.S, « Délinquance », [En ligne], Encyclopédie Universalis, (page consultée le 2 octobre 2022).

Je m'abonne à l'infolettre

« * » indique les champs nécessaires

Ce champ n’est utilisé qu’à des fins de validation et devrait rester inchangé.

Je m'abonne à l'infolettre