commerce sexe chronique histoire
« Les deux endroits publics les plus fréquentés à Trois-Rivières par les prostituées et leurs clients entre 1850 et 1916 sont le terrain de l’Exposition et le Coteau-Saint-Louis. » Photos : Dominic Bérubé

Au XIXe siècle, le développement portuaire de Trois-Rivières s’accélère grâce à la construction du chemin de fer Grand Tronc, à la sidérurgie, à l’exploitation forestière et aux activités qui en découlent. Trois-Rivières devient en quelques décennies le lieu de transit par excellence du commerce régional. Or, durant la période estivale, les travailleurs saisonniers prennent d’assaut le centre-ville. On compte parmi eux les bûcherons, les employés du chemin de fer et les matelots. Le centre-ville était donc fréquenté par une population majoritairement masculine qui « fournit son lot de clientèle pour les bordels de la ville ».

Quels sont les lieux de débauche à Trois-Rivières durant la seconde moitié du XIXe siècle ?

Le commerce charnel trifluvien compte plusieurs lieux de débauche publics et privés où les clients « commettent le mal » avec des femmes. Ces lieux sont répartis principalement sur l’ensemble du territoire du district de Trois-Rivières, mais également dans les localités environnantes, comme Louiseville, Bécancour, Saint-Léonard-d’Aston, etc. Le dépouillement des archives judiciaires nous révèle que les deux endroits publics les plus fréquentés à Trois-Rivières par les prostituées et leurs clients entre 1850 et 1916 sont le terrain de l’Exposition et le Coteau-Saint-Louis.

Pour la plupart, les lieux privés sont associés aux maisons malfamées gérées par une tenancière ou un tenancier. Chaque quartier de Trois-Rivières possède une maison de ce genre. Toutefois, certains d’entre eux sont plus souvent liés à la prostitution. C’est notamment le cas des quartiers Saint-Louis et Saint-Philippe où se déroulent 78 % des arrestations entre 1850 et 1916.

Outre les bordels, les prostituées pouvaient fréquenter une chambre d’une auberge ou d’un hôtel. Ces établissements privés étaient presque tous situés au cœur de la ville, « entre le port et le marché au nord et, à l’ouest, de l’église paroissiale à la rue Saint-Georges ». C’est là que la majorité des travailleurs transitent. Elles pouvaient également rencontrer leurs clients dans des immeubles à logements.

Qui sont les acteurs principaux du commerce du sexe à Trois-Rivières ?

Tout d’abord, les tenancières et les tenanciers de maisons de débauche sont des acteurs caractéristiques du commerce du sexe trifluvien. Généralement, ce sont des femmes – parfois même des couples – qui exploitent ce type d’établissement. Selon les archives judiciaires, la tenancière type est une femme mariée, mère d’un enfant, analphabète et catholique.

Ensuite, les prostituées sanctionnées sont majoritairement des jeunes femmes de moins de 30 ans. Elles sont aussi bien célibataires que mariées et occasionnellement mineures. Les archives nous informent également de l’état civil, de la résidence ainsi que du niveau d’alphabétisation et de tempérance de l’accusée.

Mme Gignac de 28 ans, mariée et mère de cinq enfants, « a été arrêtée alors qu’elle exhibait indécemment sa personne aux employés de la manufacture de chaussures de Mr Smardon, en haut du côteau St-Louis [sic]. Elle va, selon les informations de la police, depuis 2 mois, de jour comme de nuit, prendre refuge dans une vieille masure inoccupée au pied du côteau St-Louis [sic], avec une foule d’hommes dépravés et dissolus. Elle s’abandonne à l’ivrognerie et à la prostitution, au point que cette masure est devenue depuis environ 2 mois, un lieu de grande immoralité et de scandale. Elle est emprisonnée ce 25 septembre 1891, faute de sûretés ».

Lire aussi : La petite criminalité à Trois-Rivières 1850-1900

Des spécialistes de l’histoire évoquent différentes raisons qui poussent les femmes à se prostituer au XIXe siècle. Certains expliquent qu’un milieu familial problématique « pouvait entraîner la fugue de jeunes filles qui trouvaient refuge dans les bordels ». Alors que d’autres mettent simplement « l’accent sur les difficultés économiques qui contraignent certaines femmes à avoir recours à la prostitution sur une base occasionnelle ». Or, les femmes qui se prostituaient à temps partiel ne dépendaient pas uniquement des revenus de la vente de leur corps. La prostitution était plutôt le moyen de compléter les revenus provenant d’un autre emploi, comme celui de servante ou de journalière. On comprend que pour ces femmes vivant dans une pauvreté extrême, la prostitution devenait la seule option envisageable. Il faut toutefois noter que certaines vendaient parfois aussi le corps de leurs enfants pour assurer la survie de la famille.

Par ailleurs, le dépouillement des archives permet de démentir quelques idées reçues, par exemple que les tenancières de bordels étaient des veuves et que les prostituées étaient de jeunes femmes célibataires. En réalité, l’analyse de Marie-Joëlle Côté démontre que les veuves tenancières étaient plutôt rares en Mauricie – il s’agissait souvent de femmes mariées, et que les prostituées se recrutaient autant chez les célibataires que chez les femmes mariées.

Finalement, il en ressort que « l’accusée typique est une femme, soit une tenancière mariée âgée entre 21 et 30 ans, soit une prostituée célibataire et mineure. Elle n’a qu’un enfant, est d’origine trifluvienne, affirme ne pas consommer d’alcool et est catholique ».

 

Bibliographie

Sources premières

Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Trois-Rivières

Cour des Sessions hebdomadaires de la Paix (1856-1900) : Cour « Petites sessions de la Paix » / « Weekly and Petty Sessions of the Peace », Trois-Rivières, 1856-1900, 25 septembre 1891 : 7221.

Base de données numériques

Mauricie bases de données en histoire générale, Centre interuniversitaire en études québécoises (CIEQ), La petite criminalité, [En ligne] https://mauricie.cieq.ca/ (page consultée le 16 février 2023).

Mémoires de maîtrise

CÔTÉ, Marie-Joëlle. Le commerce du sexe en Mauricie (1850-1916) : pratiques sociales et répression étatique. Mémoire de maîtrise. Trois-Rivières, Université du Québec à Trois-Rivières, 2013, 115 p.

HUET, Pierre-Marie. Ordre social et police à Trois-Rivières, 1850-1900, Mémoire de maîtrise sous la direction d’Alain Croix, juin 1997, 172 p.

Monographies

FINGARD, Judith. The Dark Side of Life in Victorian Halifax. Porters Lake, Pottersfield Press, 1989. 224 p.

HARDY, René, SEGUIN, Normand et al. Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, 1136 p.

Article

ROTENBERG, Lori. « The Wayward Worker: Toronto’s Prostitute at the Turn of the Century ». Acton, Janice et al. Women at Work: Ontario, 1850-1930. Toronto, Toronto Canadian Women’s Educational Press, 1974. p. 33-69.

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