La Gazette de la Mauricie souhaite à sa manière soutenir la relève artistique en offrant un espace d’expression libre dans ses pages culturelles. Ce mois-ci, La Gazette présente une œuvre de Valérie Deschamps.

Pendaison de cinq patriotes sur l’échafaud installé au-dessus du portail de l’ancienne prison des Patriotes à Montréal au Québec. D’après un dessin d’Henri Julien (1852-1908)
La corde dansait au gré du vent. Comme deux corps suivant le rythme valsant du désir. Cette corde, elle était-là. Je la voyais du coin de l’œil. C’était cette même corde qui aurait comme dernière étreinte les veines de mon cou.
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Le désir avait guidé ces deux dernières années. J’y avais consacré ma vie, je lui avais donné ma virginité.
Le froid couvrait le chemin du dernier souffle. Long il était vers les montagnes de ses seins, la chute de ses reins au fjord de ses jambes. J’en ressens encore le simple lac, la cime de chacun de ses arbres frissonnant au creux de mon cou, mes mains suivant la courbe de ses frontières, comme un corps en mouvement.
Hier, était la dernière nuit où j’ai pu caresser la douceur de sa peau. Nous avons goûté au fruit défendu. Nos souffles saccadés, nos deux corps enlacés sous la froideur des couvertures, sa poitrine pressant la mienne, nos deux âmes profitaient tant de la longévité du reste de nos vies. Elle me donnait tout d’elle, je lui offrais tout de moi.
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Il y avait tant de rouge devant, sur les côtés … au présent. Le rouge de la colère, le rouge du désir et le noir de la peur. Sous le ciel bleu éclatant de février, l’Anglais était là, posé fier, mais frêle. Il avait semé le doute en mon esprit. Cette force lacée pour qu’on ne puisse s’en détacher excite. Tant pour la puissance que pour la résistance.
Chacun de mes pas me menait vers la fin, c’était comme une jouissance impuissante, résignée. Dangereuse, inconnue, mais totalement inévitable. Mes mains attachées derrière mon dos, je suis complètement soumis à sa domination. Les yeux grands ouverts, à genoux devant l’autorité illégitime. La potence laissera une croix blanche sur ma peau.
Alors que je me mordillais les lèvres, elle arriva. La corde s’installa autour de mon cou. Je la sens comme ses mains à elle hier, découvrant chaque parcelle de mon corps, chaque centimètre de mon sexe. Mon corps avait soif du sien en extase.
Son regard bleu me revient, elle me donne le courage de vivre pleinement ces dernières secondes. Comme celles qui sont comptées avant l’ultime désir, l’ultime plaisir.
Dans cette jouissance, je pousse un cri de liberté pour que dans un dernier orgasme de vie je redevienne, un Fils de la Liberté.
– Valérie Deschamps