Aux États-Unis, jusqu’au début des années 1820, l’opinion publique était recueillie dans des rassemblements : étals de vente, gares, églises, bars, assemblées municipales…
Mais dès 1824, obtenir le plus de répondant-es possibles devient une obsession. Journaux et périodiques sont en bonne position pour y arriver. Ils disposent de listes d’abonné-es et de client-es qui achètent de la publicité, et ils ont l’argent nécessaire. Ils sont aussi motivés par la vente de copies et de publicité. La nouvelle rapporte, alors pourquoi ne pas la créer ?
Premiers votes de paille
Les sondages d’opinion viennent donc des journaux locaux américains qui recouraient aux votes de paille (straw vote ou straw poll en anglais). Les éventuels électeurs retournaient des fac-similés de bulletins de vote distribués par ces publications, les données ainsi recueillies servant de prévisions des résultats électoraux.
L’appellation « votes de paille » serait attribuable à une phrase de John Seldon, un écrivain, juriste et politicien anglais : Take a straw and throw it up into the air: you may see by that which way the wind is.
Le journal The Pennsylvanian de Harrisburg
La Pennsylvanie est centrale dans l’histoire des sondages. John Harris, un commerçant anglais, y achète un terrain en 1719. Son fils, John Harris Jr., y concrétisera la fondation de la ville de Harrisburg, capitale de l’État à partir de 1812. Douze ans plus tard, le journal The Pennsylvanian y voit le jour. Sa notoriété surprendra pour une publication dont l’existence ne sera que de 52 semaines.
En juillet 1824, l’hebdomadaire publie les résultats d’un sondage par votes de paille lors de la campagne présidentielle. Ce fait historique – et c’est ce qui a contribué à la notoriété du journal – est particulier parce que la publication de ces résultats est souvent citée comme étant le début des sondages pré-électoraux où firmes de sondage et médias coexisteront en symbiose, les unes bénéficiant d’une plateforme de diffusion et d’une couverture médiatique, les autres d’une information qui fait vendre.
La victoire du démocrate-républicain Andrew Jackson sur son rival du même parti, John Quincy Adams a correctement été prédite par le journal. Mais Adams est tout de même devenu président !
Si vous avez bien lu, les deux candidats étaient du même parti ! En fait, quatre candidats de ce parti s’affrontaient, mais aucun n’a obtenu la majorité absolue des votes électoraux. Au début de 1825, la Chambre des représentants a finalement élu Adams selon une procédure prévue par la constitution. Un scrutin a été tenu, où chaque État disposait d’un seul vote, et la majorité est allée à Adams. À noter : le Pennsylvanian n’était déjà plus là pour rapporter la nouvelle.

Dès les présidentielles de 1944, les contenants du Popcorn King étaient identifiés à l’un ou à l’autre des candidats, les ventes servant de prévisions des intentions de vote. Photo : René Gélinas / © La Gazette de la Mauricie et des environs
Les Popcorn polls
La notion de sondage est flexible. Avec un peu de créativité, on peut s’éclater ! James Victor Blevins – le Popcorn King – a fondé, dans les années 1940, une entreprise vendant et distribuant du maïs soufflé dans les épiceries et les cinémas. Dès les présidentielles de 1944, les contenants du Popcorn King étaient identifiés à l’un ou à l’autre des candidats, les ventes servant de prévisions des intentions de vote.
Étonnamment, ces sondages ont bénéficié d’une grande crédibilité. Le 17 octobre 1960, par exemple, le Park City Daily News, de Bowling Green au Kentucky, publie :
Les résultats du deuxième Popcorn poll […] donnent à Kennedy 54,5 % des ventes, comparativement à 53,7 % il y a deux semaines […]. Ces « votes », précis dans la prédiction du gagnant depuis Harry S. Truman en 1948, sont basés sur les ventes de maïs soufflé dans les cinémas et supermarchés.
Les Cupcakes votes
Le Popcorn poll n’est pas qu’une anecdote du bon vieux temps ! L’automne 2014 a été celui du référendum sur l’indépendance en Écosse. On aurait pu croire que son résultat serait révélé grâce au scotch ou au haggis, mais c’est pourtant par les cupcakes que les Écossais apprendront que le « non » gagnera.
La maison Cuckoo’s Bakery, d’Édimbourg, a vendu, pendant la campagne référendaire, des cupcakes en trois versions : coiffée du drapeau écossais pour le « oui », avec le drapeau anglais pour le « non » et avec un point d’interrogation pour les indécis.
Ouverte depuis le jour de la Saint-Valentin 2011, trois ans plus tard la Cockoo’s Bakery se lance dans le sondage pâtissier et prédit la victoire du « non » avec 52,3 % des ventes de cupcakes coiffés du drapeau anglais, le « oui » n’obtenant que 47,7% des ventes (excluant les indécis). Le résultat référendaire : 55 % pour le « non » contre 45 % pour le « oui ».
La Cuckoo’s Bakery a attiré l’attention de la presse internationale (et de l’émission Infoman), les propriétaires se surprenant de voir des journalistes d’un peu partout venir les interviewer à leur boutique de la rue Dundas. Cette visibilité a évidemment contribué à la notoriété de la place !
Vidya Sarjoo – une des propriétaires de la Cuckoo’s Bakery à l’époque – a toutefois confié que la logistique n’était pas simple. Question de crédibilité, il fallait que suffisamment de cupcakes soient disponibles en tout temps pour pouvoir vendre aux client-es ceux qui correspondaient à leur opinion et ce, pendant les sept mois qu’a duré ce sondage. Beaucoup de gestion et, évidemment, de décomptes des ventes quotidiennes pour que l’avenir de l’Écosse soit dévoilé par les cupcakes !






