Au printemps 1885, des rumeurs concernant une affaire de mœurs et de corruption circulent à l’endroit des constables de police Alexandre Décoteau et Théodule Beaulieu. En moins de deux, les journaux publient les rumeurs ce qui n’est pas sans provoquer l’ire de la population. Ces évènements créent un malaise sans précédent au sein des institutions civiles trifluviennes[1]. Or, pour regagner la confiance et pour calmer la grogne du public, le Conseil municipal n’a d’autre choix que d’ouvrir une commission d’enquête. Le président du comité de police P. B. Vanasse et l’avocat de la Corporation N. L. Denoncourt sont donc nommés comme enquêteurs afin de faire la lumière sur les évènements.

 

Que reproche-t-on aux deux constables ? Décoteau et Beaulieu sont accusés « d’abuser de la boisson et d’encourager les maisons mal famées [sic] au lieu de les faire disparaître »[2]. Plusieurs témoins impliqués dans le commerce du sexe trifluvien, tels que « des clients, tenancières, prostituées, charretiers, mais aussi des représentants de la loi comme des constables et le greffier de la paix […] affirment avoir vu les constables Alexandre Décoteau et Théodule Beaulieu fréquenter assidument le bordel de Mme Grenier et de la veuve Garceau, près du Coteau »[3].

Lors du procès, une prostituée qui pratique dans la maison de débauche de la Veuve Garceau témoigne que les constables « leur avaient promis leur protection. […] ils contrôlaient les allées et venues devant cette maison déréglée ». La veuve Garceau enchérit en affirmant que les deux constables agissaient en « véritables proxénètes »[4] : « Beaulieu est venu, il a couché avec moi, Décoteau m’avait demandé si je pouvais gagner Beaulieu, je lui ai dit que oui, il a [sic] monté en haut avec moi, et a couché avec moi et ensuite nous sommes descendus. Décoteau m’avait dit qu’il me donnerait une piastre si je gagnais Beaulieu; le même soir Beaulieu a fait coucher Majoric Malhiot avec Elizabeth Pellerin, et Beaulieu a alors aidé Malhiot qui était en fête. […] Ayant fait des observations à Décoteau et Beaulieu que je craignais d’être arrêtée, alors ils m’ont dit ne craignez rien, quand il y aura des warrants [mandats] contre vous on vous avertira si on peut et moi je me fiais à eux »[5].

Ce témoignage incrimine directement les deux policiers. D’autant plus que certains témoins affirment que « les constables n’entraient pas là pour faire leurs devoirs de police et semblaient être des habitués des maisons de prostitution »[6].

Les enquêteurs Vanasse et Denoncourt soutiennent cependant « que les seuls témoignages à l’endroit des autres [sic] ont été produits par des filles de mauvaise vie et qu’ils ont été peu ou pas corroborés par d’autres témoins »[7]. Ils croient donc : « que ces hommes en ont agi ainsi seulement par faiblesse et légèreté, mais non dans le but d’y commettre un mal plus grave; qu’un rapport plus circonstancié au sujet de ces hommes aurait l’effet de troubler la paix de leurs familles et ils espèrent que l’action de votre Conseil, en ordonnant cette enquête, aura un effet salutaire sur la conduite des hommes de police et satisfaira [sic] l’opinion publique justement alarmée »[8].

Malgré les points soulevés par les enquêteurs, ces derniers laissent le soin au Conseil d’entreprendre les actions nécessaires contre les policiers corrompus. Dans ces conditions, les deux constables sont formellement accusés d’avoir « fréquenté habituellement des maisons de débauche, qu’ils y ont invité des jeunes gens célibataires, qu’ils y ont bu de la boisson, qu’ils y ont invité ou aidé d’autres personnes à y commettre le mal et qu’ils ont promis aux maîtresses de ces maisons que, autant qu’ils le pourraient, ils les protègeraient contre la justice »[9].

Or, le Journal des Trois-Rivières écrit que « se comporter de la sorte pour des chefs d’une administration publique ou [sic] la tolérance du mal devient un encouragement et un scandale, c’est de mériter la réprobation publique et se montrer indigne de sa charge »[10].

L’Échevins Houde, secondé par l’échevin Godin, « fait alors motion que les deux hommes de police incriminés soient immédiatement rayés du corps de Police [sic] »[11]. Le malaise s’estompe enfin.

En somme, le Conseil adopte une proposition stipulant le congédiement de Décoteau et Beaulieu. Toutefois, les deux accusés reçoivent une avance de salaire à la suite de leur congédiement. Il faut attendre encore quelques décennies pour que la réputation de la police suscite de nouveau les éloges des Trifluviens. Ce n’est toutefois pas le dernier scandale qui éclaboussera la police trifluvienne au courant du XXe siècle.

 

BIBLIOGRAPHIE

Sources premières

Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Trois-Rivières

Archives municipales de Trois-Rivières, Procédés du conseil municipal, 24 mars 1885.

Archives municipales de Trois-Rivières, Procédés du conseil municipal, boîtes connexes (séances du Conseil de ville), O. Carignan et Thomas Bournival, Lettre à son honneur le maire et messieurs les échevins de la cité des Trois-Rivières, 30 mars 1885.

 

Bases de données numériques

Mauricie bases de données en histoire générale, Centre interuniversitaire en Études québécoises (CIEQ), La petite criminalité, [En ligne] https://mauricie.cieq.ca/ (page consultée le 16 février 2023).

 

Mémoires de maîtrise

CÔTÉ, Marie-Joëlle. Le commerce du sexe en Mauricie, 1850-1916 : pratiques sociales et répression étatique. Mémoire. Trois-Rivières, Université du Québec à Trois-Rivières, 2013, 115 p.

HUET, Pierre-Marie. Ordre social et police à Trois-Rivières, 1850-1900, Mémoire de maîtrise sous la direction d’Alain Croix, juin 1997, 172 p.

 

Monographies

HARDY, René, SEGUIN, Normand et al. Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, 1136 p.

 

Articles

 « Un malaise », Le Journal des Trois-Rivières, 12 mars 1885, p. 2.

« Une question de morale publique », Le Journal des Trois-Rivières, 2 avril 1885, p. 2.

« La police trifluvienne » Le Nouvelliste, Cahier 2, 19 juin 1984, p. 56.

 

[1] « Un malaise », Le Journal des Trois-Rivières, 12 mars 1885, p. 2.

[2] Marie-Joëlle Côté, Le commerce du sexe en Mauricie, 1850-1916 : pratiques sociales et répression étatique. Mémoire. Trois-Rivières, Université du Québec à Trois-Rivières, 2013, p. 69.

[3] Marie-Joëlle Côté, Le commerce du sexe en Mauricie, 1850-1916 : pratiques sociales et répression étatique. Mémoire. Trois-Rivières, Université du Québec à Trois-Rivières, 2013, p. 70.

[4] Marie-Joëlle Côté, Le commerce du sexe en Mauricie, 1850-1916 : pratiques sociales et répression étatique. Mémoire. Trois-Rivières, Université du Québec à Trois-Rivières, 2013, p. 70.

[5] Archives municipales de Trois-Rivières, Procédés du conseil municipal, 24 mars 1885.

[6] Archives municipales de Trois-Rivières, Procédés du conseil municipal, 24 mars 1885.

[7] « La police trifluvienne » Le Nouvelliste, Cahier 2, 19 juin 1984, p. 56.

[8] « La police trifluvienne » Le Nouvelliste, Cahier 2, 19 juin 1984, p. 56.

[9] Archives municipales de Trois-Rivières, Procédés du conseil municipal, boîtes connexes (séances du Conseil de ville), O. Carignan et Thomas Bournival, Lettre à son honneur le maire et messieurs les échevins de la cité des Trois-Rivières, 30 mars 1885; Voir aussi Pierre-Marie Huet. Ordre social et police à Trois-Rivières, 1850-1900, Mémoire de maîtrise sous la direction d’Alain Croix, juin 1997, p. 69-70.

[10] « Une question de morale publique », Le Journal des Trois-Rivières, 2 avril 1885, p. 2.

[11] « Une question de morale publique », Le Journal des Trois-Rivières, 2 avril 1885, p. 2.

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