Photo: Collectif Instants
Un texte de Zohra Cloutier, collaboratrice
Artiste et danseuse interprète, Justine Bellefeuille crée un univers unique combinant les deux disciplines. Forte de deux majeures de l’Université Concordia, l’une en danse contemporaine et l’autre en arts visuels, cette jeune artiste multidisciplinaire s’intéresse aux enjeux féministes et les intègre au cœur de sa pratique artistique.
L’artiste trifluvienne Justine Bellefeuille a grandi dans un milieu créatif. Elle se souvient : « ma mère apportait des crayons au restaurant pour qu’on puisse dessiner ». Ce n’est toutefois qu’à la fin de son parcours « Studio Arts » à Concordia qu’elle découvre la céramique. Elle a un coup de cœur pour cette technique et décide de l’intégrer à un art qu’elle maîtrise depuis longtemps, la danse. Elle raconte son processus d’intégration d’une discipline à l’autre : « je prends un objet visuel et j’y ajoute du mouvement, des corps. J’essaie de mettre en mouvement ce qui est inerte. Le corps, les chorégraphies, pour moi, c’est sculptural. J’essaie de composer dans l’espace à la fois les corps et les lignes pour que ça devienne un tout. » Elle précise que son processus de création est instinctif. Par exemple, elle ne se considère pas comme peintre, bien qu’elle utilise la peinture : « pour moi, la peinture est un prétexte pour aider à créer une image, un ressenti. »
Le travail de Justine Bellefeuille commence toujours par une phase de conceptualisation : « les enjeux en lien avec les droits des femmes, c’est vraiment ce qui me motive à créer, confie-t-elle. Je pars de cette thématique pour trouver un sujet un peu plus précis, un sujet un peu plus viscéral qui m’habite. » Le thème de la viscéralité est au cœur de la démarche de l’artiste : elle compare d’ailleurs ses sculptures et ses enchaînements de danse à des viscères : « dans le mouvement j’essaie de retrouver cette même essence viscérale. J’utilise des positions de corps qui peuvent paraître inconfortables, souvent activées par des impulsions, des réactions spontanées comme des contractions.» Elle illustre son point en évoquant la façon dont le corps se crispe brusquement lorsqu’on sursaute. L’improvisation joue un rôle significatif dans l’authenticité de sa pratique.
Récemment, Justine Bellefeuille a pris part à des initiatives d’envergure dans la région de la Mauricie, qui l’ont amenée à élargir son champ d’expression artistique. Elle a participé en juillet 2023 au projet Osmose, soutenu par l’atelier Silex, qui consistait en un montage vidéo de plusieurs improvisations de danse qui composaient toutes ensemble une chorégraphie. La vidéo a été projetée sur la façade du Manoir de Tonnancour (Trois-Rivières) lors du Festivoix. Pour cette initiative, la danseuse et céramiste s’est inspirée de la relation du corps avec le numérique et de la potentialité à générer du mouvement. Elle a joué sur les angles et sur l’interprétation que pourrait faire un œil extérieur. Justine Bellefeuille a également participé en août au projet Interzone, à Shawinigan, où elle exposait en plein air une sculpture de bois peinte accompagnée d’une performance. Cette œuvre est issue d’une réflexion sur la difficulté et le danger que vivent les femmes et les minorités lors de leurs déplacements en milieu urbain : « il y a beaucoup de zones d’ombres, de petits passages qui ne sont pas toujours sécuritaires. Mon inspiration part de ça. J’ai filmé une marche régulière et observé tous les déplacements inconscients que je prenais. » Elle a transféré ensuite ces déplacements et ces mouvements sur sa toile à l’aide de techniques picturales : « J’ai retracé mon parcours ; c’est ce que représentent les zones sinueuses dans le bois ». Le geste derrière cette œuvre revêt une signification particulièrement puissante, d’autant plus que son œuvre était exposée dans une ruelle de Shawinigan.
Cette envie de passer un message affecte énormément le travail de Justine Bellefeuille. Elle explique : « La misogynie et le sexisme me touchent beaucoup, c’est pour ça que la colère se voit dans ce que je fais. Je n’essaie pas nécessairement de trouver une solution pour les contrer ; c’est encore tellement un problème dans notre société que j’essaie d’abord de les exposer avant de donner des solutions ». Elle est actuellement engagée dans un projet collectif qui explore ces thèmes, en mettant particulièrement l’accent sur la féminité. Elle utilise la résonance de ses vases pour expérimenter, avec ses collègues, les sons produits par l’interaction entre sa voix et l’écho de la pièce de céramique. Elle évoque avec humour : « C’est pas cute! C’est pas harmonieux, mais vraiment pas ! On s’intéresse à si on décide d’accepter ou pas ce qui va sortir de notre corps ».
Créatrice émergente, Justine Bellefeuille est certainement une artiste à suivre. Il y a fort à parier que vous croiserez de nouveaux ses œuvres, statiques ou en mouvement, dans la région!
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