En 2012, la population étudiante du Québec s’est promptement levée pour défendre l’égalité des chances dans l’accessibilité aux études post-secondaires. L’Association générale des étudiants (AGE) de l’UQTR a participé à ce mouvement contestataire.
Le contexte
Influencés notamment par « Occupy Wall Street », débuté le 17 septembre 2011, les étudiants québécois avaient plusieurs munitions contre le gouvernement libéral de Jean Charest, au pouvoir depuis avril 2003. L’insatisfaction de la population se maintenait autour de 74% à la suite des révélations du rapport Duchesneau[1]. Après la corruption dans l’industrie de la construction, le scandale des garderies, la pollution par les gaz de schiste et la volonté de gaspiller deux milliards de dollars dans la réfection de la centrale nucléaire Gentilly-2, la hausse injustifiée des droits de scolarité était la goutte qui avait fait déborder le vase.
En mars 2011, lors de la présentation de son budget, le gouvernement libéral tient sa promesse de hausser les frais de scolarité de 325$ par année sur une période de cinq ans, pour un total de 1 625$. Dès 2007, une hausse de 50$ par année avait déjà été imposée afin de mettre un terme au gel de ces frais. Pourtant, dans les années 1990, un dégel des frais de scolarité (passant de 581 $ à 1 630$) par un précédent gouvernement libéral, celui de Robert Bourassa, avait eu comme conséquence une décroissance dans les universités francophones, qui connurent une baisse de plus de 26 000 inscriptions en seulement cinq ans[2].
Récemment, Lyse Roy rappelait que « dès 1231, le pape accorda aux universitaires le droit de grève, c’est-à-dire de cesser leurs activités académiques si leurs privilèges étaient bafoués. »[3] Par l’entremise des fédérations étudiantes collégiales et universitaires (FECQ, FEUQ) et des étudiants les plus militants à gauche comme la CLASSE (Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante), le mouvement étudiant québécois s’est rapidement mis à lancer un appel à la grève générale illimitée (GGI).
Les actions
Aussitôt, l’AGE UQTR participe activement à de nombreuses manifestations ou actions politiques : le 4 octobre 2011 (Trois-Rivières[4]), le 10 novembre 2011 (30 000 personnes à Montréal), le 23 février 2012 (manifestation devant une réunion des libéraux à l’hôtel Delta de Trois-Rivières), le 29 février (appui à la CSQ pour dénoncer les coupes en éducation devant les bureaux du député libéral trifluvien), le 1er mars (à Québec devant l’Assemblée nationale). Rappelant aux parlementaires l’idéal de la gratuité scolaire du primaire à l’université, promesse du PLQ de Jean Lesage au début de la Révolution tranquille des années 1960, tout ce que les manifestants ont eu comme réponse à Québec fut des gaz lacrymogènes lancés par la police alors qu’il n’y avait aucun débordement. « C’est pourquoi il faut à présent hausser le ton. Oui, je crois que le temps du hurlement est venu » – José Saramago (1922-2010), Prix Nobel de littérature.
En plus de se positionner contre la hausse improvisée voire irresponsable des frais de scolarité, qui ferait en sorte qu’aussitôt 7 000 étudiants n’aient plus accès à l’université, l’AGE UQTR exigeait la tenue d’États généraux sur l’éducation au Québec avant d’ouvrir le délicat dossier des frais de scolarité. En octobre 2011, les étudiants de l’UQTR avaient déjà refusé à une majorité de 60% de tenir une seule journée de grève pour la manifestation nationale du 10 novembre[5]. Mais cela ne les a pas empêchés d’y participer.
Le 14 mars 2012, réunis en assemblée générale spéciale pour débattre de cette marchandisation du savoir, les membres présents ont voté à la majorité, pour la première fois de son histoire depuis 1975, pour tenir une GGI qui entrait en vigueur à partir du 15 mars. Par un vote secret, après une séance de six heures, 1 097 ont voté pour (51,12 %) et 1 049 contre (48,88 %), sur les 2 146 étudiants ayant exprimé leur droit de vote, une différence de 48 voix. Même si l’administration de l’UQTR n’a autorisé aucune levée de cours pour la tenue de cette assemblée, l’enthousiasme était à son comble[6]. Les 9 700 étudiantes et étudiants de l’AGE UQTR rejoignaient ainsi les 155 000 alors en grève (en date du 13 mars) et les 200 000 qui le seront le 22 mars, lors d’une manifestation nationale prévue à Montréal. Pour l’occasion, l’AGE UQTR a nolisé une vingtaine d’autobus scolaires pour plus de 800 étudiants de l’UQTR[7], du jamais vu.
Il s’agit de la plus importante grève étudiante de l’histoire du Québec.
Finalement, la GGI prend fin – après neuf jours de piquetage sur le campus, d’interruption de cours et d’actions artistiques – lors d’un vote électronique sur une période de deux jours auquel participent 65% des membres de l’association, soit 6 320 personnes (3 717 contre la poursuite de la GGI, 2 414 pour, 189 abstentions)[8]. Malgré l’aspect démocratique d’un tel vote, nombreux sont ceux qui ont dénoncé cette tactique de museler le débat en tenant un vote en ligne, sans argumentation. Par la suite, les associations départementales vont organiser leur propre grève, comme les étudiants en Études québécoises (AEEQ), appuyés notamment par leurs professeurs, qui seront les premiers à voter pour reconduire leur GGI.
Cela n’empêcha pas l’AGE UQTR d’organiser sa propre manifestation dans les rues de Trois-Rivières, le 15 avril 2012, rassemblant plus de 400 manifestants défilant contre les politiques du gouvernement libéral. Le ton va monter dans les deux camps (pour la hausse, contre la hausse) et va culminer jusqu’à la violence lors de la manifestation lors du congrès du Parti libéral du Québec tenu à Victoriaville, le 4 mai 2012[9]. Au total, environ 3 499 personnes furent arrêtées ou blessées pendant la période du « Printemps érable » lors de 1 370 manifestations recensées en 2012, dont 532 à Montréal, selon le rapport Ménard (mars 2014)[10] qui a blâmé le gouvernement Charest et la police pour leur mauvaise gestion de la crise sociale[11].
En plus de sa présence lors d’une manifestation à Sherbrooke (4 avril 2012), l’AGE UQTR a participé à toutes les manifestations nationales tenues le 22e jour de chaque mois, et ce, malgré l’imposition de l’infâme loi spéciale 78, adoptée le 18 mai 2012 (à 68 voix contre 48 après environ 20 heures consécutives de débats en séance extraordinaire), qui voulait entre autres mettre fin aux manifestations nocturnes.
La grève étudiante québécoise était alors à sa 14e semaine mais ce n’était que le début. En effet, c’est à ce moment que la population s’est jointe au mouvement de protestation contre le gouvernement. En plus des artistes, les jeunes grévistes au fameux « carré rouge »[12] recevront l’appui des professeurs, des syndicats et même des juristes de l’État québécois. Dorénavant, les manifestations vont s’armer de casseroles pour se faire entendre, tout en criant en choeur: « La loi spéciale / on s’en câlisse! ». Par sa grande popularité, il s’agit de la plus importante grève étudiante dans toute l’histoire du Québec.

L’héritage
Aux élections de septembre 2012, Jean Charest a (enfin) été chassé du pouvoir après neuf ans de règne et de déconstruction du modèle québécois. La nouvelle première ministre du Québec, Pauline Marois, première femme à accéder à ce poste, a rapidement abrogé la loi 78 puis a convoqué un Sommet sur l’enseignement supérieur, tenu à Montréal en février 2013. On y a adopté une position qui n’a satisfait presque personne, c’est-à-dire un compromis entre la gratuité scolaire et une hausse importante des droits de scolarité : une indexation des droits de scolarité à 3 %, une hausse d’environ 70$ par année[13].
Malheureusement, étant une association indépendante, l’AGE UQTR a été exclue de cette rencontre et ce, malgré la rencontre avec plusieurs députés locaux et même l’aide de la rectrice, Nadia Ghazzali, qui allait défendre leur cause. On explique aussi que la sélection des associations participantes s’est faite par tirage au sort[14]. La Mauricie venait de perdre sa voix au débat national. Encore une fois, selon la présidente de l’époque, Carol-Ann Rouillard, ce fut Montréal qui allait décider pour l’ensemble du Québec[15].
Néanmoins, par la suite, cela n’a pas empêché l’association universitaire trifluvienne de mener le combat dans d’autres causes sociales importantes. Lors du retour des libéraux au pouvoir, en avril 2014, l’AGE UQTR fut rapidement investie pour manifester contre l’austérité imposée par Philippe Couillard, un programme de coupes systématiques dans les services publics qui n’avait même pas été discuté pendant la campagne électorale. Mais ceci est une autre histoire.
[1] www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-quebecoise/201109/19/01-4449310-la-remontee-du-plq-stoppee-net.php
[2] www.ledevoir.com/opinion/idees/345694/droits-de-scolarite-gels-et-degels-bref-rappel-historique
[3] Revue POSSIBLES. « Questionner l’université », vol. 44, no. 2, automne 2020, 204 p.
[4] www.lechodetroisrivieres.ca/actualites/actualites/178936/les-etudiants-de-la-region-manifestent-a-trois-rivieres
[5] www.lechodetroisrivieres.ca/actualites/actualites/178987/pas-de-greve-a-luqtr
[6] Vidéo du dévoilement des résultats : www.facebook.com/jeanfrancois.veilleux.666/videos/272871806122753
[7] AGE UQTR : https://oraprdnt.uqtr.uquebec.ca/pls/public/gscw031?owa_no_site=5620&owa_no_fiche=36
[8] www.tvanouvelles.ca/2012/03/23/les-etudiants-de-luqtr-ne-sont-plus-en-greve
[9] www.youtube.com/watch?v=ELW0HPdnAFY&t=70s
[10] www.lapresse.ca/actualites/2022-02-12/printemps-erable-dix-ans-plus-tard/une-generation-au-front.php
[11] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/667412/reaction-rapport-menard-couillard-printemps-erable
[12] Ce symbole date de la grève étudiante de l’hiver 2005 contre l’endettement étudiant et signifie « carrément dans le rouge ». En janvier 2015, ce symbole est entré officiellement aux archives du Musée de la civilisation à Québec. www.lesoleil.com/66ceea2d6390128aef67336990ed05d7
[13] https://ici.radio-canada.ca/dossier/11070/sommet-enseignement-superieur-2013
[14] https://zonecampus.ca/lage-uqtr-exclue-du-sommet-sur-lenseignement-superieur-decision-controversee-du-parti-quebecois/
[15] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/601345/ageuqtr-sommet-enseigmentsuperieur
Vidéo du dévoilement des résultats du vote sur la Grève général illimitée de l’UQTR : www.facebook.com/jeanfrancois.veilleux.666/videos/272871806122753
Documentaire « DÉRIVES » sur la violence policière pendant le Printemps érable : www.youtube.com/watch?v=ELW0HPdnAFY&t=70s