Frédérica Skierkowski et François Martin – Librairie POIRIER, février 2017
Les yeux tristes de mon camion – Serge Bouchard – Boréal
On est assis dans un camion, un Mack modèle B de 1958, aux côtés de Serge Bouchard. Avec sa voix de conteur, les yeux dans le rétroviseur, il nous raconte pourquoi le Jardin botanique de Montréal, la beauté du stade olympique renié dès sa naissance, Jean-Baptiste Faribault et Michel Laframboise, ces aventuriers canadiens-français qui ont bâti l’Ouest américain. Qu’est-ce qui a fait que New York est ce qu’elle est, la marque de l’Amérique, le nom de la liberté ? On monte dans le Grand Nord, on traverse le Canada, les yeux grand ouverts, enfin conscients. On est bercé dans un vaisseau de nostalgies, on a faim de ragoût de boulettes, on n’a plus peur des loups. On se voit grands bâtisseurs, architectes aux dents longues. Mais le castor qui nous habite peut être dangereux et il détruit sur son passage, efface l’existence d’un monde métis et oublie son fleuve.
De petites histoires, toutes plus denses et plus belles les unes que les autres. Toutes plus graves. Des merveilles qu’on savoure comme une rangée de biscuits aux pépites de chocolat. Des histoires qui nous rappellent que tout va trop vite.
« Enfant, je regardais le fleuve. Sans le savoir, je voyais passer le temps, et dans son cours, tout ce qui allait nous échapper. »
Les yeux tristes de mon camion, un livre d’une grande humanité, une leçon de sagesse. Et si on s’arrêtait, juste pour regarder ?
Le sous-majordome – Patrick deWitt – Alto
Patrick deWitt a conquis un très large public en 2012 avec Les frères Sisters, un western déjanté qui lui a d’ailleurs valu le Prix des libraires du Québec ainsi que le Prix littéraire du Gouverneur général. L’auteur nous revient en force en ce début d’année avec Le sous-majordome, une comédie de mœurs à l’humour grinçant dont l’intrigue se situe à mi-chemin entre un conte des frères Grimm et un sketch absurde du groupe Monty Python.
Jeune mythomane à la frêle stature, Lucien « Lucy » Minor est le vilain petit canard de son hameau natal. Par suite du décès de son père, le menteur compulsif accepte le curieux poste de sous-majordome au château de l’énigmatique baron d’Aux. Alors qu’il envisageait cet emploi comme l’occasion rêvée de quitter le giron maternel et son ennuyeux village de Bury, Lucy se retrouve bien vite à longer les murs des innombrables couloirs du sinistre bâtiment. Son supérieur, le squelettique monsieur Olderglough, refuse en outre de lui révéler ce qu’il est advenu du pauvre Broom, son prédécesseur. Sans compter que le château surplombe un village où grouillent les voleurs – dont les sympathiques Mémel et Mewé – et où passent des soldats pour qui l’unique raison de combattre semble justement d’être des soldats ! Heureusement, il y a aussi la sémillante Klara, dont Lucy tombera éperdument amoureux (à ses risques et périls).
En somme, Patrick deWitt nous offre avec Le sous-majordome un roman unique en son genre. L’étrangeté de l’intrigue – qui nous tient en haleine – et la drôlerie des dialogues sont portées par un style d’une élégance qu’on croirait issue d’une époque révolue. Comme pour Les frères Sisters, son précédent roman, on referme le livre avec l’impatience de découvrir ce que nous réserve encore le talentueux Patrick deWitt. Parions qu’il saura une fois de plus nous surprendre.