Au cours des dernières semaines, les questions relatives à l’identité de genre ont occupé les tribunes médiatiques sans toutefois tenir compte des nuances nécessaires à la compréhension des ces questions. Combien de chroniques ont pris le temps d’expliquer les nuances entre le sexe génétique, le sexe biologie ou anatomique, le sexe hormonal, le sexe psychologique et le genre ? Si la notion de sexe renvoie à des critères génétiques (les chromosome sexuels), anatomiques (constitution physiologique mâle ou femelle) ou psychologiques (cognition et émotions), la notion du genre quant à elle renvoie à une construction sociale et à une représentation des rôles masculins et féminins. À la lumière des propos publiés dans les dernières semaines, il est très clair que nous avons une représentation sociale de l’identité de genre binaire (masculin ou féminin) et cisnormative (où la norme tend à privilégier les personnes dont l’identité de genre correspond au sexe assigné à la naissance). Or, qu’en est-il des personnes qui ne s’identifient pas au modèle binaire proposé ou qui ne s’identifient pas en concordance avec leur sexe assigné à la naissance ?
L’identité de genre, une construction sociale
Comment, collectivement, traitons-nous ces personnes qui revendiquent une identité de genre qui ne correspond pas aux catégories binaires et cisgenres socialement établies ? L’anthropologue Mary Douglas offre, dans son essai « De la souillure », des clés de compréhension qui méritent d’être exposées.
Selon Douglas, nous définissions un « ordre du monde » partagé collectivement qui peut influencer de façon inconsciente les idées à partir desquelles nous pensons et agissons. Elle affirme : « Plus notre expérience est conforme à notre passé, plus nous avons confiance en nos suppositions. Nous ignorons ou déformons les faits gênants qui se refusent à l’insertion dans le schéma, afin de ne pas déranger nos idées préconçues ». Ainsi, en catégorisant et en représentant de manière binaire et cisgenre l’identité de genre nous comprenons et acceptons ce qui est « masculin » et « féminin » et nous rejetons les éléments qui ne se classent pas dans cette catégorisation, c’est-à-dire les personnes non-binaires, transgenres, transsexuelles, intersexuelles et bispirituelles.
Faire face aux « anomalies »
Toujours selon Douglas, à défaut de redéfinir collectivement notre ordre du monde, nous pouvons employer plusieurs stratégies collectives afin de faire face aux cas qui ne correspondent pas aux catégoriques socialement définies, ce que Douglas a nommé de manière conceptuelle une « anomalie » qui réfère à un « élément qui ne s’insère pas dans une série ou un ensemble donné ».
Première stratégie, nous pouvons réduire l’anomalie en adoptant l’une ou l’autre des interprétations possibles. Par exemple, en évitant d’offrir l’accès à des toilettes neutres, on force une personne non-binaire à faire un choix binaire. La même stratégie est employée lorsque l’on refuse d’utiliser un pronom non-binaire comme Mx. De cette manière, on réduit l’ordre social à ce qui est masculin, féminin et cisgenre.
Deuxième stratégie, nous pouvons contrôler les anomalies avec des règles qui obligent à les éviter. Par exemple, en interdisant d’aborder des thèmes non-binaires dans des programmes scolaires. La même stratégie est abondamment employée avec les nombreux textes de loi anti-2SLGBTQIA+ introduits depuis le début de 2023 à travers les États-Unis. Cette stratégie permet renforcer et de confirmer les définitions auxquelles l’anomalie ne se conforme pas.
Troisième stratégie, nous pouvons qualifier les phénomènes anormaux comme dangereux. Par exemple, en sous-entendant que des drag queens qui lisent des histoires aux enfants seraient une potentielle menace à l’intégrité sexuelle des enfants. On dérobe ainsi une situation à la discussion et on renforce le conformisme binaire et cisgenre.
Quatrième stratégie, éliminer l’existence même de l’anomalie. Par exemple, les crimes violents motivés par l’idéologie et la haine sont en hausse au Canda, parmi lesquels la violence anti-2SLGBTQIA+ est spécifiquement motivée par la haine des personnes ayant un genre ou une orientation sexuelle différente de la nome binaire et cisgenre socialement établie.
Au-delà de la théorie et de l’idéologie
Les mouvements sociaux 2SLGBTQIA+ militent pour faire protéger et respecter leurs droits en vertu des chartes québécoise et canadienne des droits et libertés de la personne ainsi que de la Loi visant à renforcer la lutte contre la transphobie. Ils militent aussi afin que l’on puisse redéfinir collectivement notre conception de l’identité de genre en y incluant aux côtés du masculin et du féminin d’autres identités pour ne plus être à l’extérieur de la boîte binaire et cisgenre et ne plus être attaqués.
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