Lili Brunet-St-Pierre, 24 septembre 2015
Nous y sommes. La lecture des statuts des humoristes et des personnalités publiques qui se prononcent sur les réseaux sociaux à la défense de Mike Ward ont eu raison de ma patience. La question de la liberté d’expression au Québec est malmenée dans les médias, et ce depuis bien trop longtemps. Je me remémore cette semblable controverse: celle créée par les propos de l’animateur Jeff Filion à Radio X, autour de 2004. Là fois où le Québec a crié LIBARTÉ à grands coups de collants sur le bumper sans en comprendre le sens.
Notre compréhension du principe de liberté d’expression ne semble pas avoir évolué depuis, et bien que la province regorge d’humoristes de carrière et d’animateurs d’expérience, leur prise de position laisse croire qu’ils ne comprennent pas plus que la population générale les bénéfices et les limites de la liberté d’expression. Pourtant, ce n’est pas si compliqué ! Je tombe carrément des nues quand je lis la position de certains sur la poursuite de Mike Ward aujourd’hui : « Ce qui te permet de le faire [dénoncer et protester contre les propos de Mike Ward], c’est la LIBERTÉ D’EXPRESSION ! Elle ne s’applique pas seulement à ce qui t’arrange (…) des fois elle frustre, elle blesse, elle offusque…mais elle est FONDAMENTALE !! » Voilà un exemple parfait d’erreur de conception. C’est vrai, la liberté d’expression ne s’applique pas uniquement quand on le veut, c’est bien pourquoi Jérémy Gabriel poursuit Mike Ward aujourd’hui. Que ça plaise ou non aux humoristes et personnalités publiques, il y a des LIMITES à la liberté d’expression. Il serait temps que quelqu’un les en en informe. Il semble qu’ils ont manqué d’écoute à l’École nationale de l’humour au moment d’aborder la diffamation et les notions de droits. S’il y a des limites donc, à la liberté d’expression, c’est bien parce que nous avons aussi des droits. Ainsi, Mike Ward a le droit de faire des blagues. Mais il n’a pas le droit de brimer quelqu’un dans sa dignité, son honneur, sa réputation. S’il n’y avait aucune limite à la liberté d’expression, on pourrait viser des personnes sur les ondes radio et à la télé, à heure de grande écoute, en riant de leur couleur, leur orientation sexuelle, leur religion, leur handicap, leur maladie (vous me direz que ça se fait déjà à Québec, c’est vrai, et c’est une aberration). Et si on dénigrait publiquement une personne visée ainsi, elle n’oserait plus sortir. Elle en pâtirait, elle souffrirait et perdrait ainsi de SA propre liberté. C’est un principe assez de base que tout le monde a déjà entendu : ta liberté se termine là où la liberté de l’autre commence. Tu as le droit d’écouter ta musique chez vous. Mais tu dois la fermer à une certaine heure pour ne pas réveiller ton voisin et le brimer. Qu’est-ce qui est compliqué là-dedans ? Et bien que Mike Ward soit « un bon gars » et qu’il soit très empathique avec les sans-abris, voulez-vous bien me dire, humoristes, qu’est-ce que ça change pour Jérémy Gabriel ? Il n’est pas premier ministre Jérémy, et on n’a pas critiqué son travail comme ministre ou ses choix comme personnalité publique dans une caricature. Il y a une immense différence entre rire de la maladie d’un enfant (qu’il n’a pas choisi puisqu’il est né avec) et rire d’un autre humoriste dans un show d’humour. Je ne comprends même pas par quelle manœuvre tordue de l’esprit Guy Nantel et Guy A. Lepage peuvent comparer les deux. Come on…Ou encore, quand on lit que « les gens savent à quoi s’attendre quand ils vont voir un show de Mike Ward ». Oui, et les gens savent aussi à quoi s’attendre en écoutant Radio-X. Mais où est la limite de ce raisonnement ? Et si dans le show d’un humoriste on dénigrait les juifs en appelant au génocide sous le signe de l’humour, est-ce que l’on dirait aux gens que ça offusque qu’ils ont simplement à ne pas y aller ? Si on dit dans une émission chaque semaine que les femmes sont inférieures, on a juste à changer de poste ? « Hey, on sait à quoi s’attendre ! » Eh bien non, il y a des lois pour établir ce qui est acceptable de propager comme message quand on jouit d’un public, et une maudite chance ! Sans la Charte des Droits et Libertés, toutes les minorités vivant de l’inégalité sociale ne seraient pas sorties du bois. Je comprends que c’est votre chum, Mike Ward, mais ça se peut qu’il n’ait juste pas assez réfléchit en faisant cette joke là. Et Jérémy Gabriel, il n’est pas juste « frustré » ou « offusqué ». Moi, je suis offusquée. Lui, il a entendu dans un show 500 personnes rire du fait qu’il n’est pas encore mort. Après il est allé dans sa classe au secondaire alors que les autres élèves devaient se passer le vidéo du show de Mike en riant derrière leurs mains. Ça a dû être un doux moment pour lui, vraiment. Un ministre ou une personnalité publique, un adulte conscient qu’il ne fait pas l’unanimité, lui il peut s’attendre à se faire critiquer. Et Jérémy pouvait aussi s’attendre, admettons, à ce qu’on critique sa façon de chanter au pire. Mais rire du fait qu’il ne soit pas encore mort ? Votre enfant aurait sa maladie, et vous trouveriez ça drôle ? Alors la gang, on pourrait arrêter de se regarder le nombril deux minutes avant de publier un statut Facebook pour s’émouvoir pour son ami. Le but n’est pas de brimer la liberté des humoristes, caricaturistes, journalistes ou de contrôler chaque mot écrit ou émis. Le but c’est d’encourager une expression dans le respect des droits de chacun. Et je crois qu’un humour le moindrement subtil et intelligent peut réussir à faire rire de quelqu’un sans le viser directement. Et ça ne veut pas dire que Mike n’est pas une bonne personne, qu’il n’a pas de sensibilité, ou qu’il veut réellement tuer Jérémy Gabriel, ben non. Il a fait une erreur et ça a brimé quelqu’un. Pouvez-vous vous rendre compte s’il vous plaît, après 30 ans d’expérience, qu’une personnalité publique a un pouvoir sur les gens et qu’il a une responsabilité qui vient avec ? Si vous pouvez faire rire le monde, les émouvoir, les faire vous écrire, les faire vous demander un autographe, c’est tu possible que vous puissiez aussi les faire souffrir si vous ne faites pas attention ?