René Hardy, décembre 2015
Pour qui connaît un tant soit peu l’histoire des Amérindiens de la Mauricie, cette photo de jeunes autochtones d’Opitciwan qui s’amusent au souque à la corde traduit bien l’immensité du chemin parcouru en un siècle par la nation Atikamekw.
Ils sont aujourd’hui près de 6 000 individus répartis en trois villages, Manawan (2 100), Wemotaci (1 300) et Opitciwan (2 400), alors qu’au début du 20e siècle, les trois bandes réunies n’en comptaient pas plus de 500. Le père oblat Joseph-Étienne Guinard, qui les défendait auprès des gouvernements quasi indifférents à leur sort, appréhendait même leur extinction tant la mortalité décimait les enfants et les jeunes adultes. La précarité de l’existence de ces populations de nomades provenait en grande partie de l’épuisement des ressources fauniques sur leur territoire traditionnel où l’exploitation forestière se faisait plus intense et où la construction ferroviaire rendait possible l’implantation de nombreux clubs de chasse et de pêche.
Pour pallier ces difficultés, le gouvernement créa les Réserves de Wemotaci en 1895 et Manawan en 1906, assises territoriales de leur village en devenir. Cependant ces villages tardèrent à naître car les Atikamekws restaient attachés au nomadisme, érigeant leur tente en période estivale autour du poste de traite et de la chapelle pour regagner à l’automne leur territoire de chasse. Ces villages de tentes se transformèrent au cours des années 1920 en véritables petits villages d’habitations de bois dans lesquelles un certain confort et la salubrité contribuèrent à améliorer leur bilan de santé.
Pendant ces décennies de revendications le plus souvent faites par des intermédiaires Blancs, dont le missionnaire Guinard, les Atikamekws se butèrent à l’incompréhension gouvernementale de leurs besoins essentiels sur leur territoire ancestral envahi. L’exemple du barrage Gouin, terminé en 1917, illustre l’absence de considération à leur égard, à la limite du mépris. La montée des eaux fit disparaître le territoire de chasse de la bande d’Opitciwan et inonda la chapelle et le village. Malgré les promesses de leur donner un territoire de chasse et de reconstruire le village l’été suivant, ils durent multiplier les pressions et attendre cinq ans les matériaux et l’aide technique pour se loger dans des habitations qu’ils construisirent eux-mêmes sous la supervision d’instructeurs payés par le gouvernement. Quant au territoire de chasse, il ne leur fut accordé que 25 ans plus tard avec la création de la réserve d’Opitciwan en 1950.
Aujourd’hui les Atikamekws sont reconnus comme une des 11 nations amérindiennes vivant au Québec. Ils se sont dotés d’un gouvernement, le Conseil de la nation, qui a « déclaré unilatéralement sa souveraineté » et veut dorénavant négocier d’égal à égal sans devoir compter sur notre bonne volonté pour s’affirmer et grandir. Forts d’une population très jeune, plus éduquée et bien ancrée autant dans la culture québécoise que dans la leur transmise par une parfaite connaissance de la langue maternelle enseignée à l’école, ils peuvent affronter les nouveaux défis avec un certain optimisme, conscients cependant que le plus grand et le plus difficile sera de faire une place à cette jeunesse scolarisée qui de plus en plus aspire à des fonctions et à des positions qu’elle devra occuper en dehors du système des Réserves, si celui-ci doit durer.