À la fin février 2021, la Régie de gestion des matières résiduelles de la Mauricie annonçait une entente avec une entreprise française, Waga Energy, pour la construction d’une unité de transformation en gaz naturel renouvelable (GNR) des biogaz générés par la décomposition des déchets du site d’enfouissement sanitaire de Saint-Étienne-des-Grès. Cette infrastructure sera financée essentiellement par des investissements privés.
Le projet s’inscrit notamment dans la Politique énergétique 2030 du gouvernement du Québec qui vise à accroître la production de gaz naturel renouvelable (GNR) qu’on appelle aussi biométhane. Contrairement au gaz naturel conventionnel, qui est de source fossile et que l’on extrait du sous-sol où il est emprisonné depuis des millénaires, le GNR découle de la valorisation des résidus verts et alimentaires à l’intérieur d’un cycle de vie très court. En substituant le GNR au gaz fossile, la Régie estime que le projet évitera l’émission de 27 000 tonnes d’équivalent CO2 par an dans l’atmosphère.
Deux projets distincts, mais complémentaires
Il est prévu que l’unité de transformation soit mise en service en 2022 et que le biométhane produit soit vendu au distributeur gazier Énergir. La matière première proviendra des cellules d’enfouissement des déchets, où elle s’accumule depuis des années en se dégradant et en produisant des biogaz.
Ce n’est que plus tard – soit d’ici 2025, selon les exigences gouvernementales – que la Régie et ses partenaires municipaux mettront en place la collecte des résidus organiques séparément des autres déchets au moyen d’un tri à la source, soit le fameux bac brun. La matière provenant du bac brun sera transformée en compost dans un centre de traitement des matières compostables qui sera aussi implanté à Saint-Étienne-des-Grès d’ici 2025. Le procédé de compostage sera précédé d’une phase dite « de méthanisation », soit une forme de fermentation dans un milieu sans air afin de former du gaz méthane.
Pour Sylvie Gamache, conseillère en communications à la Régie, « il s’agit de deux projets distincts, mais complémentaires. La nouvelle technologie qu’on va construire va servir à transformer le biogaz des cellules d’enfouissement, mais elle pourra également recevoir le biométhane provenant des matières compostables récupérées par les citoyens de la Mauricie avec le bac brun. Il est important pour nous de pouvoir intégrer et optimiser les différentes infrastructures. »
Le gaspillage, source de gaz à effets de serre
Selon Recyc-Québec, le tiers de nos déchets est composé de matières organiques. Cela représente près d’une demie-tonne de résidus par personne par année. En 2018, à l’échelle provinciale, à peine 27 % de ces déchets étaient valorisés via le compostage, la biométhanisation et l’épandage. Le plan d’action 2019-2024 de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles vise un objectif de 60 % de valorisation de ces matières d’ici trois ans.
À cet égard, tout est à faire en Mauricie. Si actuellement l’idée de transformer nos restes de tables et résidus de jardin en gaz naturel renouvelable semble être bonne en raison de tous ces surplus qui ne demandent qu’à être gérés, il ne faudrait pas perdre de vue que l’objectif est d’abord de s’occuper de nos matières de façon responsable. Une fois les équipements installés et devant les promesses de profits, la tentation sera forte de chercher à alimenter l’unité de traitement à sa pleine capacité. Cela pourrait-il nuire aux efforts de réduction du gaspillage à la source ?
À titre d’exemple, Recyc-Québec estime que 58 % de toute la nourriture produite est jetée tout au long de la chaîne alimentaire. Par ailleurs, selon les estimations du MAPAQ (ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec), les émissions de gaz à effet de serre liées à l’agriculture représentent environ 9,2 % des émissions totales à l’échelle québécoise. Dans un contexte de lutte aux gaz à effets de serre, des efforts importants devront donc être déployés dans les prochaines années pour réduire ce gaspillage alimentaire.
Si les actions en ce sens portaient fruit, cela voudrait donc dire moins de matière première pour produire du biométhane à Saint-Étienne-des-Grès. Cela plaira-t-il aux entreprises privées qui auront investi des millions dans ce projet ? Selon la hiérarchie de l’approche des 3RV, on ne devrait se tourner vers la valorisation (V) d’une matière que lorsque l’on n’a pas réussi à la réduire à la source, la réutiliser ou la recycler (3R).
Pour Sylvie Gamache, il est clair que la réduction à la source demeure le mode de gestion à privilégier. Elle précise cependant que « à court et moyen terme, il y aura toujours une certaine proportion des résidus qui devront être enfouis pour diverses raisons, comme la contamination par d’autres matières. Par ailleurs, actuellement, les cellules d’enfouissement produisent des biogaz et le feront pour plusieurs dizaines d’années encore avec les déchets déjà enfouis ».

Photo : Dominic Bérubé
Le meilleur déchet
Tant que l’encadrement légal et réglementaire de la transformation des biogaz en GNR vise à gérer de façon responsable nos résidus verts et alimentaires, on ne peut pas être contre leur transformation en énergie renouvelable. Surtout que les 20 millions de mètres cubes de biogaz générés annuellement par le lieu d’enfouissement de Saint-Étienne-des-Grès sont actuellement brûlés à la torchère, sans autre transformation.
Toutefois, comment concilier les politiques gouvernementales qui prônent un Québec sans gaspillage et des pratiques en matière de valorisation qui considèrent les résidus comme des ressources lucratives ? Sans effort appréciable de réduction du gaspillage alimentaire, on se demandera éventuellement à quoi bon remplacer le gaz fossile par du gaz renouvelable si la matière première pour le produire (des résidus alimentaires gaspillés) nécessite l’usage de pétrole.
Les technologies, aussi vertes soient-elles, ne nous dispensent pas de notre responsabilité collective d’instaurer des pratiques visant la réduction de notre consommation globale. Le meilleur déchet demeurera toujours celui que l’on ne produit pas.