Daniel Landry – International – CS3R – juin 2021
Depuis janvier, les progressistes américains ont de quoi se réjouir. En prenant le contrôle de la Maison-Blanche, Joe Biden, 46e président des États-Unis, a promis de réaliser des réformes majeures. Jusqu’à présent, il répond aux attentes. À titre d’exemple, son arrivée a correspondu avec une accélération de la campagne de vaccination, faisant passer les États-Unis de cancres à chefs de file de la lutte à la pandémie de COVID-19[1]. Économiquement, des plans de relance colossaux ont été présentés au Congrès : d’abord un plan d’aide de 1900 milliards de dollars, ensuite un plan d’investissement de 2300 milliards de dollars. Ces chiffres sont tellement démesurés qu’il est ardu d’en mesurer toute la portée. Retenons tout de même que l’objectif est d’assurer une relance économique verte en tout respect des impératifs de justice sociale et fiscale.
À cela, ajoutons les promesses d’augmentation d’impôts visant les plus riches, les objectifs ambitieux de réduction de gaz à effets de serre, le désir clair de lutter contre le racisme et le souhait de rétablir le traité sur le nucléaire avec l’Iran. En somme, à peine quelques mois après son assermentation, tout indique que Joe Biden pourrait être le digne héritier des présidents les plus progressistes de l’histoire, comme Franklin D. Roosevelt (1933-1945) et de Lyndon B. Johnson (1963-1969).
Biden est pressé d’arriver à des résultats. D’aucuns diront que c’est en raison de son âge avancé et qu’à l’instar du « pape de transition » Jean XXIII (1958-1963), il pourrait surprendre en léguant un héritage progressiste et respectueux de l’environnement bien plus riche que ce qu’on attendait de lui initialement. D’où l’intérêt de la politique américaine actuelle, car les décisions prises par le géant ont des conséquences directes sur celles d’autres pays, notamment le Canada. Pensons par exemple aux enjeux climatiques. Ce n’est pas un hasard si, depuis l’arrivée de Biden, le premier ministre Justin Trudeau semble lui-même se « verdir » et se fixer des objectifs plus ambitieux en matière de lutte aux changements climatiques (il a évoqué une réduction de 45 % des émissions d’ici 2030).
On est loin de la prise de conscience nécessaire à toute véritable transition écologique.
Les réjouissances doivent cependant se faire sous le sceau de la prudence. Biden est pressé parce que le temps lui manque. Les élections de mi-mandat arrivent à grands pas (novembre 2022) et une perte de contrôle du Sénat et de la Chambre des représentants freinerait toute réforme progressiste. De plus, un peu de lucidité oblige à réaliser que l’obsession de la « relance verte » représente en réalité une fixation sur la « relance du billet vert ». La pandémie a fait reculer le PIB américain de 3,5 % en 2020 (la pire année depuis 1946) et le taux de chômage réel a dépassé les 10 %. Malgré les véritables intentions environnementales, l’administration Biden souhaite d’abord redorer le blason économique des États-Unis et renouer avec une période de croissance à long terme. On est loin de la remise en question du mode de vie souhaité par les tenants de la décroissance. Loin également de la rupture avec l’anthropocentrisme (l’être humain au centre de tout) souhaitée par certains écologistes et de la prise de conscience nécessaire à toute véritable transition écologique. Les réformes vertes auraient pu être lancées dans les années 1970 et 1980 (après la publication du rapport Meadows). Maintenant, c’est d’une véritable révolution verte dont l’humanité a besoin.
Biden s’annonce assurément plus vert que Trump. S’il continue dans la même veine et livre ce qu’il a promis, il pourrait même s’avérer le plus vert des présidents de l’histoire du pays. Pourtant, vu l’urgence de la situation, ses actions pourraient se révéler insuffisantes. Parce que trop vertes pâles, trop modestes ou simplement trop tardives.
[1]Plutôt que les 100 millions de doses promises pour les 100 premiers jours de mandat, ce sont plutôt 240 millions de doses qui ont été injectées dans des bras américains.