Par Valérie Delage
Combien de fois se fait-on poser cette question dès notre plus jeune âge? Passés les classiques « pompier » ou « policier » de l’enfance, pas toujours facile après le secondaire, ou même le Cégep, de choisir une voie qui nous convient lorsqu’on a soi-même une personnalité en construction et encore bien peu d’assurance sur qui on est. Il nous faut faire un choix qui engage pour longtemps, sans expérience et avec une forte tendance à vivre sa jeunesse au jour le jour. La pression familiale et sociale peut alors s’avérer forte pour ceux qui n’ont pas déjà une idée précise de leur vocation.
Pour ma part, j’ai toujours eu un intérêt pour la compréhension de l’humain. Par conséquent, si ça n’avait été que de mon propre choix, j’aurais plutôt eu tendance à me diriger naturellement vers la psychologie ou les sciences sociales (« sciences molles »). Ce n’était toutefois pas des domaines reconnus pour leurs débouchés sur le marché de l’emploi, sans compter qu’en France où j’ai grandi, société hiérarchisée et élitiste s’il en est, ceux-ci étaient plutôt péjorativement associés aux étudiants qui n’avaient pas de bons résultats à l’école et qui s’en allaient là parce qu’ils n’avaient pas les capacités d’intégrer des domaines plus exigeants intellectuellement! Or, presque pour mon malheur, j’avais plutôt des facilités à l’école, en particulier dans les matières scientifiques (« sciences dures »). Par conséquent, difficile de faire avaler la pilule à mon père, pourvoyeur durant mes études, d’une possible vocation « en dessous de mes capacités ». Mon géniteur avait plutôt l’ambition pour moi d’une carrière qui ne manquerait pas d’opportunités d’emploi, plus prestigieuse à ses yeux, tel que dans le secteur du génie, ou encore plus rémunératrice, tel que dans le secteur commercial.
J’ai donc fait à l’époque le compromis acceptable pour les deux partis de m’en aller en biologie. Une matière scientifique qui pouvait partiellement combler les désirs paternels de prestige tout en me permettant de travailler avec le vivant. Toutefois, chassez le naturel et il revient au galop, mon inclination innée pour la relation d’aide a fini par reprendre le dessus, plusieurs années plus tard, après de nombreux détours. Je ne regrette pas mon parcours, il a construit la personne complète que je suis aujourd’hui, alors que je peux réunir toutes ces compétences pour tenter de poser quelques petites pierres à l’édifice d’un monde meilleur tel que je l’imagine.
Lieu d’influences, la pression sociale se fait également forte à l’intérieur même du système scolaire. Les services d’orientation font passer une batterie de tests aux étudiants afin de les diriger vers les domaines qui correspondent le mieux à leurs aptitudes et compétences. L’ennui c’est que, ce n’est pas parce qu’on est compétent dans un domaine qu’on est forcément épanoui à exercer les métiers qui y sont associés. En ce qui me concerne, j’aurais certainement pu faire une très bonne ingénieure, mais je ne crois pas que j’aurais pu y être aussi heureuse que dans mon métier actuel.
Combien d’aspirations et de vocations ont été brimées par des tests de personnalités rabat-joie? Combien d’histoires ai-je entendues de gens qui racontaient ne pas avoir poursuivi leur rêve parce qu’on leur avait dit qu’ils n’étaient pas faits pour ça ou que ce n’était pas un métier porteur d’avenir? Il faut alors être bien solide et opiniâtre pour oser croire que l’on va réussir malgré tout. Et ceux qui entament leur vie d’adulte avec une telle confiance en eux sont peu nombreux.
À chaque fois que je rencontre de jeunes étudiant.e.s aux prises avec des choix à faire pour leur avenir, je ne peux m’empêcher de penser à ma propre expérience en espérant qu’ils ou elles se seront construit une identité suffisamment forte pour avoir la force d’écouter leur cœur en dépit du bruit parfois assourdissant de la pression sociale.