Réal Boisvert – Opinion – Février 2021
La technologie n’a pas attendu l’arrivée de la COVID pour mettre à la disposition des internautes différentes applications leur permettant de se rencontrer de manière virtuelle. Sauf que la pandémie a joliment accéléré les choses. Et, comme de fait, le recours de plus en plus répandu aux plateformes de mises en contact à distance a un effet majeur dans nos vies, à savoir une certaine dématérialisation du monde, et cela n’a pas que des avantages.
Prenons le cas des rencontres de travail virtuelles. Elles ont, à l’instar du télétravail, le don de brouiller les frontières entre la vie personnelle et le boulot. En caricaturant à peine, à l’ère du confinement généralisé, une rencontre de travail virtuelle ne peut pas se dérouler dans des conditions idéales quand tout le monde est retenu à la maison. Il n’est pas rare qu’elle se tienne alors au milieu d’un brouhaha général où on entend un chien japper ou un livreur de colis sonner à la porte. Que dire des participants qui n’arrivent pas à se brancher, qui oublient de fermer leur micro et dont on n’aperçoit à l’écran que le bout du nez. C’est un euphémisme de dire que tout cela est plutôt distrayant. Dans la foulée, on ne peut pas ne pas évoquer la généralisation des cours en ligne dont on entend dire de plus en plus que ce serait une véritable catastrophe.
Il n’y a donc pas que le télétravail comme tel qui, comme le réclame Québec solidaire, doit être encadré. L’évitement des surcharges cognitives liées à la superposition des usages informatiques dans la durée et dans l’espace de même que le droit à la déconnexion doivent enfin faire partie des politique publiques.
Venons-en maintenant à la forme. Le contact à distance, pandémie oblige encore une fois, a du bon, assurément. Et il en sera encore ainsi pour longtemps. Il en a été de même pour l’invention de l’imprimerie et de la poudre à canon. Donc, pas question de revenir à l’époque de la lampe à l’huile, bien sûr.
Mais sans autre forme de procès, comment ne pas questionner cet artifice qui consiste à nous réduire à autant de petits carrés individuels sur un écran plat. Qui n’a pas ressenti devant son ordinateur le sentiment d’être parfois assis dans le vide, plongé en apesanteur sans pouvoir recourir aux codes habituels pour exprimer un doute, une crainte, une objection ou pour, tout simplement, avertir l’autre d’une intention quelconque. Les repères coutumiers sont fichus. Au regard de la psychologie de la perception, qu’advient-il à long terme du fait de se voir tassé dans un coin, de se retrouver au cœur d’une mosaïque où ceux qui sont à côté de nous sont en même temps devant ? Oui, devant et à côté à la fois. Tout ça n’est pas facile à assimiler quand on est habitué à travailler autour d’une table dans une salle aménagée pour une rencontre de groupe. Méchant changement de paradigme ! Pour en mesurer l’ampleur, on pourrait comparer cela au passage de la physique traditionnelle à la physique quantique. Dans ce dernier cas, rappelons-le, une même particule peut se retrouver à deux endroits à la fois, ce qui peut être embêtant pour le commun des mortels. Mais surtout, ce changement de paradigme est plutôt déstabilisant pour la capacité de concentration, l’attention visuelle, l’aptitude corporelle à exprimer une pensée réfléchie et à garder le fil de ses idées.
On ne saurait être contre ZOOM et autres avatars technologiques. Mais au risque de devenir un peu « zoombie », on doit néanmoins exercer sur eux une vigilance accrue. En plus de ce qui vient d’être dit, on ne mesure peut-être pas assez encore aujourd’hui toutes les conséquences du développement des logiciels intégrés aux différentes applications de visio-conférence, comme le décryptage des expressions, l’analyse des émotions, la mesure du temps de participation, la surveillance des espaces privés, etc. Voilà autant de dispositifs activés parfois à l’insu même des utilisateurs et qui produisent des données qui pourraient être utilisées contre eux. En matière de rencontres virtuelles comme en ce qui concerne les redevances et la justice fiscale, il incombe à la collectivité entière, aux particuliers, à la communauté universitaire, à la société civile, aux différents ordres de gouvernement d’avoir les gros employeurs et les grandes firmes technologiques à l’œil et de les mettre au pas.