Il y a eu le mot-clic #AgressionNonDénoncée en 2014, qui faisait suite à la dénonciation courageuse par plusieurs femmes d’un agresseur sexuel au statut de vedette. Il y a eu #OnVousCroit en 2015, une campagne lancée par le Regroupement québécois des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) qui voulait souligner l’importance pour les victimes d’être crues au moment de leur dévoilement des faits à des proches ou de leur dénonciation aux autorités. Il y a eu #StopCultureDuViol et #SansOuiCestNon en 2016, deux mots-clics suscités par la médiatisation de la violence subie par les femmes autochtones à Val-d’Or, les vagues d’agressions sexuelles dénoncées à l’Université Laval et les allégations à l’égard d’un député de l’Assemblée nationale. Et il y a maintenant #MoiAussi (ou #MeToo), qui est associé à la révélation de comportements abusifs envers des femmes par une personne connue en situation de pouvoir.
La chape de plomb bien épaisse qui recouvre les agressions sexuelles et le harcèlement visant principalement les femmes — même si cela touche aussi un nombre non négligeable d’hommes – semble en voie de se fissurer complètement. Si ce n’était la peur d’être accusée de misandrie, j’en viendrais à me demander s’il existe encore des femmes qui puissent prétendre ne pas pouvoir afficher #MoiAussi !
Comme bien des femmes de mon entourage, j’ai hésité avant d’afficher cette étiquette. Par peur du jugement, peur de me faire dire qu’il n’y a rien là ou, au contraire, d’attirer la pitié, peur d’être obligée de raconter… Mais surtout à cause du réflexe de banalisation des faits. Car notre culture incite à la banalisation. Des commentaires sexistes de jeunes hommes croisés dans la rue ? Pas grave, ils draguent de façon malhabile, ils fanfaronnent devant leurs chums, ils ont juste un peu trop bu… Des gestes déplacés de membres de la famille ou de proches ? Pas grave, ils font ça pour amuser la galerie, pour nous taquiner, ce sont tellement des bonnes personnes, ils ont juste un peu trop bu… « Allez quoi, sois pas si coincée, rigole ! »
Donc, je banalise, je me dis que ce n’est pas si grave au fond, c’est comme ça, tout le monde a vécu ça et on n’en fait pas tout un plat. Et je m’en veux de banaliser parce que ces comportements laissent des traces pour la vie. Ils affectent l’estime de soi et la confiance, accentuent le mal-être physique, le rapport au corps et à la sexualité, et induisent une relation de suspicion a priori envers les hommes. Pourtant je côtoie plusieurs hommes qui ne sont pas « comme ça ». Mais même quand j’en rencontre, il m’est difficile de ne pas avoir le réflexe de penser qu’il y a anguille sous roche. Je me méfie, la confiance est longue à s’installer.
Pire encore, cette culture de la banalisation est ancrée si profondément que parfois je ne me rends même pas compte de certains comportements inacceptables. Parce que la « culture du viol » n’atteint pas seulement les hommes, elle touche tout autant les femmes qui grandissent dans la normalisation de ces actes.
Il est plus que temps de briser le cercle de cette culture malsaine. Ne plus tolérer les actes et propos déplacés dont on est témoin ou victime. Ne plus banaliser une « mauvaise blague ». Changer en profondeur un système de justice qui décourage les victimes, les culpabilise, les expose ou même les salit publiquement tout en blanchissant bien souvent les agresseurs, faute de preuves tangibles.
Comme toujours, le changement passe en premier lieu par l’éducation. L’éducation à l’égalité homme-femme, mais aussi, indépendamment des genres, l’éducation au respect de l’autre, à savoir repérer tout manque de respect et apprendre à dire NON !