Ligue ouvrière catholique à Cap-de-la-Madeleine, Le Nouvelliste, novembre 1953. Crédit : Appartenance Mauricie Société d’histoire régionale, Fonds Le Nouvelliste

Au sortir de la crise économique de 1873, le Québec connaît une croissance industrielle. Durant les deux décennies suivantes, le nombre de syndicats augmente, passant de 22 à 91. Ces syndicats vont établir « des liens permanents entre eux pour revendiquer des changements sociaux auprès des pouvoirs publics ». Or, les demandes des travailleurs débordent « largement le milieu du travail pour toucher de nombreux aspects de la condition ouvrière, instruction, santé, système judiciaire, droits politiques, etc. » . Ainsi, les années 1880 marquent l’éveil d’une conscience politique chez les ouvriers syndiqués. 

Les ouvriers développent leur conscience politique grâce, entre autres, à la formation du Congrès des métiers du travail du Canada (1883) et des conseils centraux à Montréal (1886) et à Québec (1889). Ce congrès et ces conseils ont pour but de représenter les travailleurs auprès des trois paliers de gouvernement. Les travailleurs voient donc dans l’adoption de lois et de règlements la solution à leurs problèmes. Cependant, les syndicats se buteront à l’autorité cléricale canadienne-française.

C’est d’ailleurs le cas pour l’Ordre des Chevaliers du travail (OCT). Cette organisation, fondée à Philadelphie en 1869, joue un rôle important dans la prise de conscience des ouvriers

L’Ordre des Chevaliers du Travail au Québec 

L’OCT est une organisation secrète qui désire « protéger ses membres contre les représailles du patronat ». À son arrivée au Québec en 1882, l’Ordre connaît un véritable engouement, car tous les ouvriers, qualifiés ou non, « sans distinction de race, de sexe ou de langue », peuvent rejoindre le syndicat. De là, l’organisation prend de l’expansion et s’implante partout au Québec et au Canada pendant plus de vingt ans, au grand désarroi de l’épiscopat catholique. 

 Par conséquent, en 1884, Mgr Taschereau, archevêque de Québec, fait interdire l’OCT dans la province  par le Vatican. Il soupçonne des liens étroits avec la franc-maçonnerie, interdits à tous les Catholiques depuis le XVIIIe siècle par le Saint-Siège. Deux ans plus tard, Mgr Taschereau condamne à nouveau l’Ordre et menace ses membres d’excommunication. Sa condamnation est levée en 1887. 

Le déclin de l’OCT 

En dépit de sa popularité chez les ouvriers canadiens-français, son déclin s’accélère dans les années 1890 à la suite de « l’opposition du clergé, [à] certains problèmes de leadership et [à] la montée en force des syndicats de métier et des unions internationales ». Parallèlement, l’Ordre est victime de la concurrence de la Fédération américaine du travail (FAT), une centrale américaine qui cherche à fédérer les syndicats de métiers. À la suite de ces conjonctures, l’OCT disparaît du Québec au début du XXe siècle. 

Sa disparition ne met pas fin aux conflits de travail loin de là ! En effet, « une série de grèves et la menace d’expansion de la FAT », amènent le clergé catholique à étudier l’encyclique Rerum Novarum et la doctrine sociale de l’Église promulguées en 1891 par Léon XIII. Malgré la prédominance du catholicisme dans la province, l’encyclique n’a pas l’effet escompté, car les évêques québécois tardent à changer leur vision sur la question ouvrière. Il faut donc attendre le début du XXe siècle pour voir un changement s’opérer.

Nouveau siècle, nouvelle mentalité

Au tournant du XXe siècle, les évêques doivent réfléchir à la façon dont ils envisagent le syndicalisme, puisque le « péril international » est toujours présent au Québec

À Trois-Rivières, c’est l’avènement de deux usines, la Wabasso et la Wayagamack, qui amène l’évêque de Trois-Rivières, Mgr François-Xavier Cloutier, à s’engager dans la lutte contre les organisations ouvrières internationales. Or, l’avènement de ces deux usines « appelle donc une implantation encore plus considérable du syndicalisme international ». Le Bien public affirme que l’élément socialiste s’est bel et bien introduit à Trois-Rivières : « […] il n’est plus permis d’en douter depuis que des centaines de voyous et d’énergumènes se sont promenés dans nos rues, à la suite d’une guenille rouge, […] et applaudissant les discours révolutionnaires et athées de […] leurs dignes chefs »

Ce contexte d’agitation ouvrière amène l’évêque à « inscrire le syndicalisme dans son programme d’action catholique ». La décision s’inscrit d’ailleurs « dans une réflexion menée à l’échelle de l’ensemble des évêques du Québec ». L’idée est « [qu]’ il faut réagir promptement car les internationaux versent de plus en plus dans le socialisme et dans l’anticléricalisme » . Voyant le nombre de syndicats internationaux doublé en l’espace d’un an, Mgr Cloutier n’a d’autre choix que d’engager la lutte.

En 1912, l’Union internationale des ouvriers de la chaussure déclare une grève qui paralyse la Tebbutt Shoe pendant plus de deux semaines. L’Union demande au propriétaire, M. Tebbutt, une augmentation de salaires de 15%. Celui-ci refuse la demande et congédie tous les ouvriers syndiqués. Ayant essayé sans succès de recruter des travailleurs à Québec et à Montréal, Tebbutt se tourne alors vers le curé de la paroisse qui montre de la sympathie pour leurs réclamations et leur syndicat. De son côté, Mgr Cloutier « réagit fort différemment ».

En ce sens, une grande assemblée d’ouvriers et de patrons est alors convoquée le 29 décembre 1912 à l’hôtel de ville de Trois-Rivières sous la présidence du maire Louis-Philippe Normand et de Mgr Cloutier. Ce dernier expose la nécessité de mettre en place des bases catholiques aux organisations ouvrières afin d’éradiquer le fléau international. Or, « si nous parvenons à donner à nos ouvriers d’ici une organisation sérieuse, basée sur les vrais principes de justice, nous aurons fait beaucoup pour la sécurité du travail aux Trois-Rivières ». Mgr Cloutier gagne son pari ! En l’espace de quelques années, les syndicats catholiques supplanteront le syndicalisme international en Mauricie et partout au Québec. 

Bibliographie

HARDY, René, SEGUIN, Normand et al. Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, 1136 p. 

LINTEAU, Paul-André, DUROCHER, René et ROBERT Jean-Claude, Histoire du Québec contemporain : De la confédération à la crise (1867-1929), tome 1. Les Édition du Boréal, Montréal, 1989, 758 p. 

ROUILLARD Jacques, Le syndicalisme québécois : Deux siècles d’histoire, Montréal, Les Éditions du Boréal, 2004, 335 p. 

ROUILLARD Jacques, Histoire du syndicalisme québécois : Des origines à nos jours, Montréal, Les Éditions du Boréal, 1989, 535 p. 

Sites Internet

BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC, « Début de l’activité des Chevaliers du travail au Québec », [En ligne] https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/evenements/ldt-535 (Consultée le 13 mai 2022).

UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE, « C’est arrivé en 1903 : Étude de l’encyclique Rerum Novarum », Bilan du Siècle : Site encyclopédique de l’histoire du Québec depuis 1900, [En ligne] https://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/21254.html (Page consultée le 12 mai 2022).

KEALEY, Gregory S., GAGNON, Marc-André. « Chevaliers du Travail au Canada ». L’Encyclopédie Canadienne, 01 février 2017, Historica Canada. www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/chevaliers-du-travail (Page consultée le 16 mai 2022).

Articles de journaux 

ANONYME, « Grande démonstration ouvrière », Le Bien public, No. 30, Vol. 4, 1912, p. 1.

H. DUFRESNE. « Le socialisme », Le Bien public, No.61, Vol 1, 1910, p. 6.

ROUILLARD, Jacques, « Implantation et expansion de l’Union internationale des travailleurs en chaussures au Québec de 1900 à 1940 », Revue d’histoire de l’Amérique française, No. 1, Vol. 36, 1982, p. 75-105.

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