Par Jean-François Veilleux, juin 2018
En juin 1908, il y a exactement 110 ans, la ville de Trois-Rivières était frappée par le pire désastre de son histoire. Revenons sur ce traumatisme collectif qui l’a complètement dévisagée.
C’est sous le règne du député libéral Joseph-Adolphe Tessier (1861-1928) et des maires F.S. Tourigny (1906-1908) et Louis-Philippe Normand (1908-1913) que le terrible incendie ravage la cité de Laviolette. Le 22 juin 1908, alors que Québec s’apprête à célébrer son tricentenaire, une partie de Trois-Rivières, en plein essor commercial, est entièrement rasée par un brasier qui, alimenté par des vents violents, va durer presque trois jours.
Selon l’historien Robert Rumilly, le feu se déclare dans une écurie de louage. En seulement quelques heures, les flammes rasent tout le centre-ville, en particulier le quartier commercial. Si elles épargnent la plupart des immeubles religieux, elles détruisent quelques vieilles demeures, le marché aux denrées (1868), l’hôtel des postes (1875), le bureau de la douane (1875) et celui du C.P.R., l’ancienne résidence des gouverneurs (1723) ainsi que l’église paroissiale Immaculée-Conception (1710), véritable relique du régime français. « Dans la prison menacée, les détenus réclament à grands cris leur liberté. »
A. Fugère, témoin de l’époque, rapporte que les vacances scolaires viennent tout juste de commencer quand l’alarme sonne vers 1 h de l’après-midi. Il raconte que, sous prétexte de sauver la marchandise, certains transportent chez eux le butin saisi dans les magasins en flammes, tandis que d’autres objets sont transportés sur le plateau pour y être réduits en cendres ou pillés à leur tout. Dès 15 h, toute la ville est en danger et on appelle en renfort les pompiers de Grand-Mère et de Montréal qui arrivent quelque 90 minutes plus tard, mais bien en vain, la pression d’eau n’étant pas assez forte pour alimenter toutes les pompes.
Inspirés par la solidarité, nombre de Trifluviens organisent des lieux d’hébergement, construisent des abris de fortune puis rassemblent de la nourriture et des matériaux de construction. Les meubles sauvés du feu sont accumulés dans des lieux publics comme le parc Champlain servant de points de ralliement pour les sinistrés et où de nombreux citoyens passent la nuit.
Les dégâts sont énormes, l’élément destructeur rasant près de 800 bâtiments, incluant commerces, bureaux et logements, et mettant à la rue des centaines de Trifluviens. Le maire Tourigny déclare : « C’est l’âme même de notre ville qui vient d’être atteinte. » Le bilan des pertes et des dommages atteint la somme de 1 500 000$. Seulement quelques privilégiés, couverts par des assurances, vont toucher des indemnités assez élevées pour repartir une nouvelle vie.
L’incendie n’épargne miraculeusement qu’une dizaine de bâtiments datant du régime français, comme le monastère des Ursulines et le manoir de Tonnancour. Selon Rumilly, les prières de la population, notamment celles des sœurs de la Providence qui restent les bras en croix pendant toute la durée de la catastrophe, ont porté fruit. Heureusement, même si le bilan matériel est énorme, on ne signale qu’une perte de vie humaine causée par l’effondrement d’un mur le lendemain de la tragédie.
L’enquête devait attribuer la responsabilité de l’incendie à deux enfants jouant avec des allumettes dans un hangar à l’angle des rues Saint-Georges et Badeaux. Ayant complètement dévasté tout le secteur situé entre les rues du Fleuve, Bonaventure, Champlain et Saint-Georges, le sinistre modifie donc du tout au tout le paysage urbain de la capitale de la Mauricie.