Jean-François Veilleux – Histoire – janvier 2022 Nombreux sont les lieux patrimoniaux à l’intérieur des limites des Premiers Quartiers de Trois-Rivières. On peut penser notamment à certaines vieilles maisons ancestrales comme la maison Fugère et la maison Bédard, toutes deux construites vers 1825. Toutefois, on n’entend presque jamais parler du cimetière anglican au coin de la rue Saint-François-Xavier et de la rue de Tonnancour, derrière le palais de justice trifluvien. J’ai publié à ce sujet dans le tome 2 du recueil de textes citoyens intitulé Premiers quartiers racontés, un des candidats au Prix du patrimoine Benjamin-Sulte de la récente 28e édition des Grands Prix culturels de la Ville de Trois-Rivières.[1]
Dès la fin du XVIIIe siècle, la communauté anglicane de Trois-Rivières possédait un cimetière à proximité du couvent des Ursulines, tout près de la belle église Saint-James. Alors confrontée à l’accroissement du nombre de fidèles, elle doit trouver et acquérir un nouveau lieu d’inhumation. Le 29 novembre 1808, Juliana Connor et son époux, Louis Gugy, cèdent à l’Église d’Angleterre et d’Irlande un terrain de 212 pieds sur 106 pieds pour l’ouverture d’un cimetière anglican. Aménagé à partir de ce moment, le cimetière Saint-James est depuis son origine un lieu de sépulture rattaché à la communauté anglicane. Il contient 98 pierres tombales ainsi qu’un rare charnier en métal en forme de prisme triangulaire. Y repose notamment James Sinclair (1732-1821), qui a combattu aux côtés du général britannique James Wolfe (1727-1759) lors de la prise de Québec. On peut aussi y retrouver le corps du controversé homme d’affaires Matthew Bell (1769-1849), administrateur des Forges du Saint-Maurice entre 1793 et 1846, un loyaliste qui était au centre des revendications locales des Patriotes en 1837-38. En effet, dès le début des années 1830, des élites patriotes trifluviennes ont demandé une révision du bail des Forges, acquis à un prix assez dérisoire, qui empêchait le développement de la ville vers de nouvelles terres agricoles au nord.
De plus, le cimetière sert de lieu de sépulture à des soldats britanniques ayant participé à la guerre de 1812. L’aménagement ultérieur du lieu en parc, les monuments et leurs inscriptions sont autant de traces de présence dans notre région de l’Église d’Angleterre, fondée par Henri VIII. Le cimetière Saint-James ne sera consacré par l’évêque anglican que le 28 mai 1898. À la fin du XIXe siècle, sa situation en milieu urbain créa de vives controverses, notamment pour des raisons sanitaires. Selon les registres, on peut y compter jusqu’à 900 inhumations. De plus, il est situé tout près de deux autres, le cimetière juif (1827-1910) et le cimetière Union (1865-1917), pour méthodistes et presbytériens.[1] En conséquence, la Ville de Trois-Rivières refuse toute nouvelle inhumation; la dernière eut lieu le 27 septembre 1917. Les campagnes de salubrité urbaine et le coût élevé de son entretien forcent sa fermeture. C’est d’ailleurs pourquoi la communauté anglicane va aussitôt aménager le cimetière Forest Hill, sur le boulevard des Forges. Néanmoins, le cimetière Saint-James est préservé à la manière d’un jardin et continue d’être entretenu. Selon le gouvernement du Québec, ce cimetière « présente un intérêt patrimonial pour sa valeur historique ». Situé en milieu urbain, il constitue « l’un des plus anciens lieux de sépulture anglicans au Québec et au Canada »[2], car la plupart des cimetières anglicans apparus après la Conquête de 1760 ont aujourd’hui disparu. Toutefois, l’endroit n’a pas toujours été traité convenablement. Même s’il a été classé le 13 mars 1962 comme un « immeuble patrimonial » par le ministre de la Culture et des Communications du gouvernement du Québec, le cimetière était carrément laissé à l’abandon par la population locale, et ce, même encore à la fin de la décennie 1970. Certaines personnes ont même suggéré de le déplacer ou bien de le remplacer par des projets d’envergure.
Heureusement, le conseil d’administration de l’organisme Patrimoine Trois-Rivières — fondé en 1977 sous le nom de Société de conservation et d’animation du patrimoine (SCAP) —, alors présidé par Robert Champagne, avait rapidement porté à l’attention des médias et des élites politiques l’importance de sa conservation mais également de sa restauration. Dès les années 1978 et 1979, ce fut d’ailleurs l’un des premiers dossiers défendus par Patrimoine Trois-Rivières avant son appui à d’autres projets majeurs de restauration : le manoir de Tonnancour, la terrasse Turcotte et le port, le vieux moulin, les Forges du Saint-Maurice, la transformation de la vieille prison en musée, la création d’un musée d’art et de culture populaire (devenu aujourd’hui le musée POP), etc.[3] En 1980, on commence donc la restauration en procédant au nettoyage des pierres tombales, à la rénovation de la clôture, du charnier métallique et de certains monuments en fonte, ainsi qu’à l’embellissement du terrain, notamment en s’occupant sur place des nombreux arbres matures.
Cet espace de recueillement, reconnu récemment au répertoire du patrimoine canadien, en mars 2007, a maintenant été transformé en parc délimité par une simple clôture en fer forgé. Malgré des actes de vandalisme en mai 2012[4], il reste accessible au public par une entrée encadrée d’une arche, aussi en fer forgé, surmontée de l’inscription du nom de la communauté. Authentique témoin d’une époque révolue, ce cimetière patrimonial révèle toute la place qu’occupe Trois-Rivières parmi les nombreux évènements de notre grande histoire nationale. Espérons que d’autres lieux du genre seront aussi préservés pour les générations futures. [1] Daniel ROBERT et Normand SÉGUIN. « Numéro spécial – 375e anniversaire de Trois-Rivières », Patrimoine Trifluvien, no.19, 2009, 52 p. Chronologie disponible en ligne sur le site de Patrimoine Trois-Rivières. https://patrimoine3r.quebec/chronologie/?fbclid=IwAR2XQ-Dlnf6d-c-K6STIEjibsz146Edr8rX-6a17-GTpsvvM4UP_EpRwW9U [2] « Cimetière Saint-James », Répertoire du patrimoine culturel du Québec, 2004, 2013, article en ligne. [3] Dépliant « La SCAP… au fil du temps — 20e anniversaire », recherche et rédaction : Daniel ROBERT (président), collaboration : Louise Desaulniers, 8 janvier 1997. [4] « Vandalisme au cimetière Saint-James de Trois-Rivières », 21 mai 2012, Radio-Canada / Ici Mauricie.