Jean-François Veilleux – Histoire – juillet 2021 Le 1er juin 2021, l’auteur Jacques Lacoursière est décédé à l’âge de de 89 ans. C’est l’occasion de revenir sur la carrière tumultueuse et bien remplie d’un homme qui a voué toute sa vie à l’histoire du Québec. Né le 4 mai 1932 à Shawinigan, au sein d’une famille nombreuse avec un père imprimeur, Lacoursière se destinait d’abord à la prêtrise. Il fait un détour par le droit mais il abandonne ses études afin d’aider l’entreprise familiale. À la fin des années 1950, alors qu’il est étudiant à l’École normale Maurice-L.-Duplessis de Trois-Rivières, son jeune professeur, Denis Vaugeois, lui donne la « piqûre » de l’histoire du Québec. Il délaisse la littérature et l’enseignement pour plonger dans les archives de la Nouvelle-France. Vaugeois le présente à Albert Tessier qui va l’initier au classement et convainc la direction du Séminaire Saint-Joseph de l’engager comme professeur en le faisant désigner comme son adjoint. En réalité, Jacques Lacoursière sera le messager de Tessier, son chauffeur, son secrétaire particulier et même son cuisinier!

Conférence de Jacques Lacoursière à la Chambre de commerce de Trois-Rivières le 25 septembre 1991. De gauche à droite : Gilles Boulet qui a présenté le conférencier ; le président de la Chambre, Me François St-Arnaud ; l’historien Jacques Lacoursière ; et le président des petits déjeuners PME de la Chambre, M. Jean Fournier. – Source : Appartenance Mauricie – Société d’histoire régionale, Fonds Le Nouvelliste.

Des œuvres significatives

Il devient rapidement secrétaire à la rédaction du Boréal Express, journal d’histoire du Canada, un projet initié après des discussions avec les historiens Gilles Boulet (recteur-fondateur de l’UQTR) et Mgr Albert Tessier. C’est Lacoursière qui trouve la devise du Boréal Express, « Par l’histoire – citoyen du temps », publié à Trois-Rivières de 1962 à 1973, illustré et mis en page par un autre Trifluvien, Lévis Martin. Avec Vaugeois, avec qui il va mettre sur pied la Société d’histoire Pierre-Boucher, Lacoursière s’associe pour divers projets, notamment la rédaction d’un manuel scolaire pour le ministère de l’Éducation, en collaboration avec l’historien Jean Provencher : Histoire 1534-1968 qui va devenir Canada-Québec, synthèse historique. À l’époque, il fallait remplacer, au moins adapter et bonifier, le manuel d’histoire des pères Farley et Lamarche des clercs de Saint-Viateur qui était en usage dans les écoles depuis au moins les années 1940. En trois ans, les Éditions du Renouveau pédagogique en vendent 80 000 exemplaires! Outre ses ouvrages moins connus sur les Troubles de 1837-38, la Révolution américaine ou sur la Crise d’octobre, on peut aussi penser à la série de 144 fascicules Nos racines – Histoire vivante des Québécois, alors vendus dans les épiceries, les librairies, les tabagies et les kiosques à journaux, rédigés avec Hélène-Andrée Bizier de 1979 à 1982. Cette sorte de « mémorial québécois » qu’on retrouve encore aujourd’hui n’a pas vieilli. Pendant plusieurs années, ce sera d’ailleurs « le plus précieux réservoir d’illustrations en histoire du Québec » selon Vaugeois. Pour la télévision, il participe entre autres à la création de la série Les Forges du Saint-Maurice (108 épisodes diffusés de 1971 à 1975) et il sera aussi chargé de la recherche pour la célèbre série de Denys Arcand sur Maurice Duplessis interprétée par Jean Lapointe (1977-1978). À la fin des années 1980, il participe à la création de l’exposition inaugurale du Musée de la civilisation du Québec qui sera publiée avec Jacques Mathieu sous le titre Les mémoires québécoises (1991), marquant un tournant dans la muséographie du Québec selon Raymond Montpetit. Par la suite, Lacoursière sera membre de divers conseils d’administration dont celui du Musée canadien des civilisations et du Musée McCord puis membre du jury du Conseil de rédaction du Musée virtuel du Canada. En 1996, c’est la série télévisée réalisée par Gilles Carle, Épopée en Amérique: une histoire populaire du Québec, qui associe définitivement son visage avec la vulgarisation de notre passé, une série en 13 épisodes qui décroche trois Gémeaux en 1997 (un dans sa catégorie, l’autre pour la réalisation puis un troisième pour la meilleure recherche documentaire). D’octobre 1995 à mai 1996, il préside le Groupe de travail sur l’enseignement de l’histoire. Au début des années 2000, le public l’entend chaque semaine à L’histoire à la une, animée par Claude Charron. Il s’intéresse à tout : lieux, personnages, auteurs, généalogie, anniversaires, alouette! Pas étonnant que Lacoursière ait prononcé 294 conférences entre 1995 et 2011, sans compter ses interventions télévisuelles ou radiophoniques dont l’animation de J’ai souvenir encore, une émission diffusée par Radio-Canada de 1994 à 2004 et réalisée par André Corriveau. Parmi les 18 ouvrages historiques qu’il a corédigés ou publiés personnellement, entre 1968 et 2008, sa plus grande œuvre reste sans doute son Histoire populaire du Québec dont les cinq tomes, publiés entre 1995 et 1997, se sont vendus à plus de 250 000 exemplaires. C’est une œuvre magistrale qui totalise plus de 2 000 pages et qui sera exploitée dans la série Le Canada: une histoire populaire (17 épisodes diffusés à Radio-Canada entre octobre 2000 et novembre 2001). Depuis l’Histoire du Canada de François-Xavier Garneau (1809-1866), publiée d’abord de 1845 à 1852, « aucun historien n’avait osé entreprendre une histoire aussi vaste » sur le Québec, selon Denis Vaugeois, incluant l’ouverture aux peuples autochtones.

Un héritage à honorer

Historien, archiviste, chercheur, animateur, consultant, conférencier, communicateur, vulgarisateur, professeur, Jacques Lacoursière se plaisait même à se déguiser en personnages historiques. Son plus grand mérite, selon André Champagne, est d’avoir stimulé, tout au long de sa carrière, l’intérêt du public pour l’histoire du Québec. Selon Gilles Gougeon, Lacoursière correspondait à « une sorte de pionner moderne de l’enseignement de l’histoire. » En effet, il a toujours misé sur l’importance pour un peuple de connaître son passé et son présent pour mieux contrôler l’avenir et surtout d’éviter de répéter les erreurs. Refusant la polémique, il souhaitait établir une histoire rassembleuse tout en évitant la confrontation. Par contre, il a parfois été malmené par les historiens diplômés. Pourtant, ses proches retiennent de lui sa belle plume, sa mémoire fabuleuse, son intelligence exceptionnelle, sa courtoisie, sa générosité, sa rigueur intellectuelle, la minutie de sa démarche et son analyse critique des témoignages. N’ayant pas complété d’études universitaires dans la science historique, Lacoursière a quand même obtenu en 2008 deux doctorats honorifiques (Université de Moncton, Université du Québec à Montréal) et sera admis au début des années 1990 à l’Académie des lettres et des sciences humaines de la Société royale du Canada. D’après Denis Vaugeois, il serait le deuxième non-universitaire à être admis dans ce groupe très sélect.

Jacques Lacoursière – Crédits : Rémy Boily – Les éditions du Septentrion

Lacoursière a également reçu plusieurs récompenses et distinctions dont le prix Pierre Berton de la Société d’histoire nationale du Canada (1996), le titre de Grand Shawiniganais (1997), le Prix d’excellence des arts et de la culture de la région de la Capitale-Nationale (1998), le Prix de l’Institut canadien de Québec (1999), le prix Trois-Rivières sans frontières (2000), fait chevalier de l’Ordre national du Québec (2002), une médaille de l’Académie des lettres du Québec (2003), membre de l’Ordre du Canada (2006), une entrée à l’Académie des Grands Québécois (2006), un prix de la Société des Dix pour souligner sa contribution exceptionnelle à l’histoire du Québec et de l’Amérique française (2007), le prix Samuel de Champlain de l’Institut France-Canada (2007), le prix Adagio du Salon du livre de Trois-Rivières (2007), le prix Gérard-Morisset du gouvernement du Québec pour le patrimoine culturel (2007), récipiendaire de la Légion d’honneur en France, obtenant ainsi le titre de chevalier de l’Ordre du mérite (2008), nommé commissaire à la Commission de toponymie du Québec (2012), la médaille d’argent du Mouvement national des Québécoises et des Québécois (2012) puis, récemment, il est fait chevalier de l’Ordre de la Pléiade (2015). En conclusion, il faut retenir de cet homme passionné tout un travail de vulgarisation permettant à un large public non seulement de se rapprocher de la trame historique du récit national des Québécois(es), pour la comprendre, mais aussi pour se la réapproprier. « La vulgarisation, écrit Vaugeois, signifie alors une démocratisation de la connaissance historique. » Pour Lacoursière, l’histoire comme la mémoire des peuples est absolument indispensable pour éviter l’amnésie. Ironiquement, Lacoursière souffrait de la maladie d’Alzheimer lors des dernières années de son existence. Il laisse dans le deuil sa femme Suzanne Marchand et leurs cinq enfants. Cet héritage majeur dans la valorisation de notre mémoire collective doit être salué comme un tremplin vers l’affirmation de la culture québécoise, une œuvre impressionnante qui saura encore longtemps nourrir intellectuellement plusieurs générations. Merci beaucoup Jacques! Sources  Jacques Lacoursière. Une histoire du Québec racontée par Jacques Lacoursière. Québec, Éditions Septentrion, 2002, 196 p. Jacques Mathieu et Denis Vaugeois. Faire aimer l’histoire en compagnie de Jacques Lacoursière. Québec, Éditions Septentrion, 2018, 292 p. www.ledevoir.com/societe/606435/jacques-lacoursiere-historien-et-communicateur-est-decede-a-l-age-de-89-ans https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1749755/historien-jacques-lacoursiere-deces-biographie www.lenouvelliste.ca/archives/le-boreal-express-renait-de-ses-cendres-4926d153e0a1a538cf744c5b49f66b44 www.ledevoir.com/opinion/lettres/612465/lacoursiere-et-la-memoire-du-quebec?utm_source=infolettre-2021-06-21&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne www.lenouvelliste.ca/opinions/carrefour-des-lecteurs/le-musee-quebecois-de-culture-populaire-se-rappelle-de-gilles-boulet-cec08f378e63a90cb9050b0ecbdd1f13 www.lapresse.ca/arts/2021-06-01/jacques-lacoursiere-1932-2021/un-grand-historien-s-eteint.php www.journaldequebec.com/2021/06/01/lhistorien-jacques-lacoursiere-est-decede www.journaldequebec.com/2021/06/12/84b2261ab7/lacoursiere-jacques www.septentrion.qc.ca/auteurs/jacques-lacoursiere https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Lacoursière

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