Si la Mauricie a donné naissance au régime duplessiste, elle a également vu naître l’un de ses principaux opposants, injustement oublié aujourd’hui.
« Le monde de Shawinigan, ils auront un pont quand ils auront appris à voter comme il faut. D’icitte à ce temps-là, ils peuvent nager si ça leur tente. » Cette réplique que Denys Arcand fait prononcer à Gérald Martineau, trésorier de l’Union nationale, dans la série Duplessis, illustre le favoritisme politique qui a caractérisé l’époque qualifiée de Grande noirceur au Québec. Ce refus du gouvernement Duplessis de construire un pont sur la rivière Saint-Maurice dans les années 1950 est dû à l’élection, en 1952, du député libéral René Hamel, le pire adversaire de l’Union nationale dans la région.
René Hamel est né à Grand-Mère le 9 février 1910 d’une famille ouvrière. Diplômé en droit de l’Université Laval en 1937, il est aussitôt admis au Barreau. Grâce à une bourse d’études du gouvernement du Québec, il part en Belgique poursuivre ses études à l’Université de Louvain. Le premier ministre Maurice Duplessis présente cette bourse d’études comme une faveur personnelle, et le jeune René lui écrit sa reconnaissance dans une lettre qui reviendra le hanter plusieurs années plus tard : « Je n’ai pas la présomption d’être un jour en mesure de solder la dette que j’ai contractée envers votre personne. » Il revient à Shawinigan en 1939 et entreprend sa carrière d’avocat.
René Hamel se porte candidat pour la première fois aux élections provinciales de 1944 sous la bannière du Bloc populaire canadien. Fondé en pleine crise de la conscription, le Bloc vise à manifester l’opposition des Canadiens français à la politique de guerre du gouvernement canadien et réclame l’indépendance du Canada vis-à-vis de l’empire britannique. Il présente également un programme progressiste : régime d’assurance-maladie, revenu minimum garanti, loi sur les relations ouvrières… Candidat du Bloc dans Saint-Maurice, René Hamel reçoit 25 % des votes. L’élection est remportée par le candidat de l’Union nationale, le Dr Marc Trudel, qui sera ministre dans le gouvernement Duplessis.
Hamel obtient un meilleur succès aux élections fédérales de 1945. Il est élu député bloquiste de Saint-Maurice-Laflèche. À la Chambre des communes, il se fait le porte-parole des revendications autonomistes du gouvernement unioniste et s’oppose aux politiques centralisatrices du gouvernement libéral de William Lyon Mackenzie King. Le Bloc populaire canadien se dissout en 1947, mais Hamel se représente tout de même aux élections de 1949, et il est battu, destin habituel des candidats indépendants.
Hamel tente un retour en politique aux élections québécoises de 1952, cette fois avec le Parti libéral. De plus en plus opposé aux politiques anti-ouvrières du gouvernement Duplessis, il invite les électeurs et les électrices à « chasser du comté la mentalité de dictature qui s’étend de plus en plus ». [1] Il reçoit l’appui des syndicats locaux et nationaux, qui le soutiendront ensuite pendant toute sa carrière. [2] Pour sa part, Maurice Duplessis demande aux électeurs et électrices de Saint-Maurice de lui accorder « un plaisir personnel » et « d’écraser » Hamel, [3] qu’il accuse publiquement d’ingratitude. A-t-il oublié la bourse d’études que le gouvernement de l’Union nationale lui avait accordée en 1937 ? Le candidat libéral est malgré tout élu avec 58 % des votes. Pour punir la région, Duplessis abandonne le projet de construire un pont sur la rivière Saint-Maurice, qui ne sera finalement construit qu’en 1962.
Hamel devient rapidement une des vedettes de l’opposition. Il accuse Duplessis de faire du Québec la province la plus taxée du Canada : « Québec est en retard dans tous les domaines, sauf celui des taxes ! » Avec ce discours sur le retard du Québec, René Hamel devient au fil des années une des personnes qui ont donné le nom de Grande noirceur à cette importante période de l’histoire du Québec. Il multiplie les répliques assassines lors de la campagne électorale de 1956 : « Notre province est comparable à une caverne de voleurs, où les taxes n’ont pour but que d’engraisser les rats du parti de l’Union nationale. »
Hamel est un des adversaires de Jean Lesage lors de la course à la direction du Parti libéral en 1958. Il dirige une faction de « provincialistes » qui voient dans Lesage l’homme d’Ottawa et souhaitent préserver l’indépendance du Parti libéral du Québec. Devenu chef et premier ministre, Lesage va tout de même faire une place au député de Saint-Maurice, vedette des syndicats, en le nommant ministre du Travail. Hamel participe à la Révolution tranquille en déposant la première version du Code du travail, qui soustraira les relations ouvrières à l’arbitraire qui caractérisait le régime Duplessis. Il est nommé Procureur général (ministre de la Justice) en 1963. En 1964, il quitte la politique pour devenir juge à la Cour supérieure dans le district de Saint-Maurice. Il meurt à Shawinigan le 16 décembre 1982.





