Renaud Goyer et Corina Borri-Anadon, CS3R, janvier 2019
Le deuxième tour des élections présidentielles au Brésil tenues le 28 octobre dernier ne réservaient pas de surprise. Déjà, depuis quelques semaines, l’avance dans les sondages de Jair Bolsonaro, ancien capitaine de l’armée dont les idées relèvent d’une tendance d’extrême-droite, était suffisante pour empêcher un retour au pouvoir du Parti des Travailleurs (PT), le parti de l’ancien président Lula da Silva.
De fait, la vague anti-PT était si forte qu’elle a porté au pouvoir un candidat aux déclarations incendiaires, notamment à l’endroit de la communauté LGBT, des Noirs, des pauvres et des femmes, un politicien qui use sans gêne de symboliques violentes dans ses discours tout en favorisant une libéralisation du port d’armes (ses partisans n’hésitent pas à se faire prendre en photo les armes à la main). Le thème central de sa campagne se basait sur un changement de cap radical pour mettre fin à la corruption et à l’insécurité.
Mais ce prétendu renouveau politique est plutôt un retour en arrière : le président désigné ayant fait campagne en glorifiant le passé militaire du Brésil, souhaitant même un retour aux années de la dictature. Selon lui, seul un pouvoir autoritaire permettra de régler les problèmes du Brésil et pourra le purger de ses éléments les plus dangereux : les syndicats, les journalistes, les militants associés au PT et… les enseignants. En effet, Bolsonaro a choisi son cheval de bataille : l’éducation.
Pendant la campagne, il a promis de mettre en place les propositions d’un groupe de pression appelé Escola sem partido (École sans partisanerie) qui propose de « dépolitiser l’éducation nationale » – de la maternelle à l’université –, estimée corrompue par les idées du pédagogue critique brésilien Paulo Freire. Dès les premières heures suivant l’élection, une députée de l’État de Santa Catarina (bastion électoral de Bolsonaro) invitait les étudiants à filmer et à dénoncer tout professeur qui critiquerait les politiques ou le nouveau président, instaurant un climat de peur dans les universités brésiliennes et rappelant les années sombres de la dictature.
Le 2 novembre, sur Twitter, le président désigné a annoncé son projet de transformer l’éducation nationale : « Depuis plusieurs années, nos institutions d’enseignement ont été prises en otage par des idéologies nocives et contraires à nos valeurs et par des individus qui détestent nos couleurs et notre hymne. » Pour réaliser cette transformation, il choisit comme ministre de l’Éducation un anti-marxiste notoire, Ricardo Vélez Rodríguez, qui promet de mettre fin à cette « hégémonie politique » au sein de l’école. Le message est clair : il est dorénavant suspect d’évoquer, dans l’ensemble des structures éducatives, la question des inégalités sociales, et ce, paradoxalement, dans une des démocraties les plus inégalitaires au monde.
Cette stratégie n’est pas anodine. Dès son entrée au pouvoir, le précédent président, Lula da Silva, avait lui-même fait de l’éducation un axe important de sa politique, entre autres à travers deux mesures. La première consistait à offrir des revenus supplémentaires aux familles pauvres dont les enfants fréquentaient l’école et la deuxième reposait sur la mise en place d’un vaste réseau d’universités fédérales pour démocratiser les études postsecondaires.
En s’attaquant ainsi à l’éducation, Bolsonaro vise donc un des piliers des politiques du PT. Mais du même coup, il cherche à agir sur le long terme en « déprogrammant » la jeunesse brésilienne et en édulcorant son esprit critique, comme le propose Escola sem partido. N’est-ce pas là une excellente façon de perpétuer les inégalités sociales ? Longtemps le bastion de la gauche, l’éducation est maintenant mobilisée par les populistes réactionnaires, non seulement pour y effectuer des coupures draconiennes, mais également pour s’en servir comme outil dans la lutte pour le pouvoir. Par conséquent, cette dépolitisation de l’éducation est un leurre; cette dernière étant dorénavant associée à la mise en œuvre d’une idéologie réactionnaire, voire fascisante.